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de ne fournir que des produits gazeux sans nulle fumée, ce qui n’est pas étranger à leur puissance balistique, et avaient l’avantage nouveau et important de ne plus déceler à l’ennemi l’origine des coups de fusil ou de canon par aucune fumée révélatrice.

C’est cette particularité qui a par-dessus tout frappé le public. De là vient le nom de poudre sans fumée qu’il a donné à la poudre de M. Vieille.

Il convient d’ailleurs de remarquer que le mot poudre est devenu lui-même tout à fait impropre pour désigner les substances propulsives des armes à feu. Ces substances qui se présentent en longs et larges rubans réunis en fagots n’ont plus rien de la forme pulvérulente. Il faudrait donc commencer ainsi, si on voulait définir exactement les poudres modernes : « Poudres : substances qui ne sont pas des poudres, etc. »

Ainsi le veulent les étranges vicissitudes de la vie des mois. Le peuple dénomme les choses par une qualité qui le frappe ; un beau jour cette qualité qui n’était qu’accessoire et non essentielle disparaît ; mais le nom subsiste, sans lien apparent avec l’objet. Mais pourquoi, après tout, la logique régnerait-elle dans le langage des hommes, quand elle existe si peu dans les pensées que ce langage prétend ambitieusement exprimer ?


Toutes les nations civilisées… si on ose encore employer ce qualificatif, ont imité de très près dans leurs poudres de guerre la poudre B de M. Vieille. Elles proviennent toutes du fulmicoton gélatinisé. La cordite par exemple, qui est la poudre propulsive employée par la marine et l’armée britannique, provient d’une mixture colloïdale du coton-poudre dans la nitroglycérine. Elle a un pouvoir propulsif peut-être un peu plus considérable que la poudre française, mais la température qu’elle développe est plus élevée et, partant, l’usure des armes plus rapide ; en outre, sa décomposition est plus dangereuse. Les autres poudres étrangères, qui toutes relèvent des mêmes idées générales, donneraient lieu à des remarques analogues.

Les formes qu’on a données aux poudres pyroxylées varient d’un pays à l’autre. Tandis que chez nous les filamens sont larges et plats, ce qui assure une surface de combustion constante et légèrement décroissante, c’est-à-dire que la poudre est à peu près constante, en Angleterre les brins de poudre ont la forme de cylindres et de filamens pleins, ce qui diminue peu à peu leur surface au fur et à mesure de la