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ployer le même procédé, nous aurions déjà chassé les Allemands de France, nous aurions pénétré en Allemagne, et la fin de la guerre serait proche… Je ne suis pas venu brandir comme une menace les grands pouvoirs que nous confère la loi de défense du royaume ; mais ces pouvoirs seront des plus utiles pour permettre l’organisation rapide du travail et la suppression de difficultés superflues. Il est impossible en temps de guerre d’attendre que les gens déraisonnables soient revenus à la raison. On ne discute pas sous le canon, on agit. »

Ce langage énergique et simple aura sans doute produit son effet. L’imagination n’est-elle pas épouvantée à la pensée de ces deux cent mille obus qui ont plu sur les Russes en si peu de temps ? Et ce n’est pas là un fait isolé. Une dépêche officielle de Pétrograd parle de sept cent mille obus qui ont été tirés en quatre heures ! Comment résister à cette avalanche de fer ? Le seul moyen est d’y répondre par une avalanche égale ; dans l’impossibilité de faire mieux, il faut en faire autant. Si nous avions eu le même nombre de munitions que les Allemands, M. Lloyd George affirme que notre territoire serait évacué par l’ennemi et que nous serions sur le sien. Cette parole mérite d’être recueillie et méditée, non seulement en Angleterre, mais en France où nous avons sans doute déjà fait beaucoup, mais où il reste encore beaucoup à faire. Et nous le ferons, si M. Dalbiez nous le permet. M. Dalbiez est un brave député, qui s’est donné la tâche de pourchasser ce qu’on appelle les « embusqués, » c’est-à-dire les hommes qui, par leur âge et leur santé, devraient être au front, mais qui, par leur savoir-faire et leurs protections, ont trouvé, dans les services de l’arrière, des emplois sans fatigue et sans danger. C’est un bon sentiment que celui de M. Dalbiez ; il ne faut pourtant pas le pousser jusqu’à la manie. Quelques-uns le font et voient des embusqués partout, dans les compagnies de chemins de fer où on a besoin, pour assurer les transports, d’hommes exercés et robustes, et dans les usines où on a besoin d’ouvriers spéciaux dont beaucoup ne peuvent pas être remplacés. On l’a dit à M. Dalbiez, et bien qu’il ait fait ou qu’on ait fait pour lui quelques concessions, sa proposition reste inquiétante. La discussion en est commencée à la Chambre, et le projet a rencontré aussitôt des objections et des critiques que M. Joseph Thierry a condensées dans un discours éloquent et précis qui a fait une grande impression. Puis sont venus M. Léon Bérard et enfin M. le ministre de la Guerre qui en ont montré le danger. Le succès de M. Millerand a été complet. Mais rien n’est fini, la discus-