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Il n’y a point de patrie complète sans une longue histoire, et, comme dit Lamartine :


C’est la cendre des morts qui créa la patrie.


Et ne sont-ce pas les morts qui parlent en notre héroïque jeunesse, lorsqu’elle prodigue son sang pour sauver la France et lui rendre les provinces arrachées en 1871 ? Ne crée-t-elle pas ainsi de nouvelles valeurs spiritualistes en dignité, en courage, en vertu ? N’accroît-elle pas l’héritage du génie français, de ce génie d’un caractère si universel, qu’il semble de tous les temps, et qu’en lui palpite l’âme rayonnante de la civilisation ? C’est surtout grâce aux ancêtres qu’une nation peut croire à sa pérennité, croyance nécessaire pour assurer sa durée, son progrès, sa force : ajoutons-y les souvenirs de gloire, de souffrances endurées ensemble, tout un faisceau de conquêtes morales et matérielles, sol, habitudes, aspirations, légendes, lettres, arts et sciences, joies, fêtes et deuils, éducation, race unique ou races diverses soudées, fondues par le temps d’une manière aussi inséparable que les substances jetées dans la chaudière magique des sorcières de Macbeth ; — enfin, cette musique du sang dont par le un poète espagnol.

Et, si l’amour de la patrie est fait de l’oubli de tout ce qui divise, il jaillit aussi du souvenir tenace de tout ce qui rapproche aux heures fatidiques où se joue le destin d’un peuple. « Nous ne sommes pas des individus juxtaposés, qu’on peut séparer comme des branches d’un polypier de corail. » Nous demeurons rivés les uns aux autres, comme ces Gaulois qui s’attachaient par des chaînes de fer, pour périr ou vaincre ensemble. Un de nos plus profonds poètes, Sully Prudhomme, l’a dit avec force :


Viens, ne marche pas seul dans un jaloux sentier,
Mais suis les grands chemins que l’humanité foule ;
Les hommes ne sont forts, bons et justes, qu’en foule ;
Ils s’achèvent ensemble, aucun d’eux n’est entier,
Malgré toi tous les morts t’ont fait leur héritier ;
La patrie a jeté le plus fier dans son moule…
Elle est la terre en nous, malgré nous incarnée
Par l’immémorial et sévère hyménée
D’une race et d’un champ qui se sont faits tous deux.


J’ai nommé les légendes ; elles jouent leur rôle dans la