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de les bombarder abondamment de temps en temps lorsqu’ils sont à portée de ses pièces. Comme les « échelons, » s’ils étaient reculés loin de cette portée, qui est d’une douzaine de kilomètres en moyenne, seraient beaucoup trop éloignés des batteries pour pouvoir assurer leur service, on a trouvé une solution qui leur donne le maximum de sécurité : on fabrique à proximité des bourgs, mais pas trop près de ceux-ci, des villages artificiels, faits de huttes champêtres au-dessus du sol et de trous ingénieux au-dessous et c’est là qu’hommes et chevaux s’installent.

Rien de plus amusant et de plus pittoresque que ces « villages nègres » semés artistement tout le long de la ligne de bataille. Les vieux arbres de nos bois dont la chair saignante a servi à les édifier contribuent là à leur manière à la défense du sol nourricier. En Lorraine surtout et dans les Vosges où le sapin est abondant, les huttes de ces villes improvisées sont agréables à l’œil et propices au bon sommeil : les branches des sapins aux sombres aiguillettes soigneusement entrelacées le long des troncs qui forment la charpente robuste de l’édifice, y font des murs et des toits toujours verts où la lumière miroite et qui protègent très suffisamment hommes, chevaux et matériel des intempéries. Il y a comme cela, dans les landes mélancoliques de la Woëvre, des villages de verdure si primitifs et si étranges qu’on se croirait, en les voyant, transporté dans je ne sais quelle région mystérieuse de l’Afrique.

On me dira que les Allemands peuvent, aussi bien, et mieux encore, bombarder et détruire pour le grand dam des occupans ces frêles abris que les rudes bâtisses en pierre des villages.

C’est vrai, mais si les Allemands savent où sont ceux-ci et ne savent pas où se trouvent ceux-là, il ne leur reste que la ressource de taper au hasard systématiquement sur toute la contrée, de faire comme on dit des « tirs sur zone. » Mais comme les projectiles les plus efficaces n’ont d’effet utile que sur un petit nombre de mètres carrés, c’est un sport qui revient très cher en munitions, si cher même qu’on ne s’y livre que rarement, car le nombre des projectiles nécessaires pour arriver à tuer ainsi un seul homme devient énorme. Et maintenant que les matières premières se font rares, nos bons Teutons n’aiment pas à jeter leur poudre aux moineaux.