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amazone, il est fort assagi par la nouvelle de l’arrestation de Lennox et n’aspire qu’à rentrer en France, si la loi d’exil est rapportée, à reconnaître la monarchie de Juillet, pourvu que Louis-Philippe change son ministère.

Comme nous arrivons à Kensington Garden, nous rencontrons le Prince ; la Reine met pied à terre un instant et le sermonne à l’écart dans une allée ; mais il ne dit pas tout ce qu’il a dans son jabot et la harangue est si bien perdue qu’au lieu de revenir avec nous, il court chez Mme Lennox, pour montrer à cette poupée les belles pensées inscrites sur le Carnet de Napoléon.


Townbridge, samedi 16 juillet.

Pendant les premiers jours de notre séjour à Townbridge, la Reine était dans une tristesse affreuse. Sans parler de son état physique et des douleurs intérieures qui l’obligent à rester de longues heures étendue sur un canapé, elle souffrait moralement des mécomptes, des erreurs, des ruptures et des déchire-mens qui sont pour elle le pain quotidien.

Je n’attribue pas le mieux qui s’est produit en elle aux efforts que j’ai faits pour la distraire, mais bien à l’effet calmant des eaux, à la solitude, au silence, aux larmes abondantes qu’elle a versées, et surtout aux confidences par lesquelles son cœur s’est soulagé dans le mien.

Elle m’a conté qu’elle avait été élevée religieusement, mais qu’une fois entrée dans le monde, ses principes avaient été ébranlés. Malheureuse et calomniée, elle se consolait par la pensée orgueilleuse qu’elle valait mieux que les autres et reportait toute sa tendresse sur son enfant, en disant : « Ceci ne me manquera pas. » La perte de cet être chéri l’a fait se révolter contre la Providence et rejeter les consolations de la foi. Ses autres malheurs, au contraire, l’ont ramenée par degrés à la piété et la prière lui sert maintenant de réconfort.

Un soir, la lecture de Malvina l’ayant mise sur le sujet des sentimens, elle a cité quelques-uns des hommes qui l’avaient recherchée dans sa jeunesse, la plupart moins par amour que par ambition. Un jeune Vendéen nommé Charette et cousin du fameux partisan a été sincèrement épris d’elle. C’était un homme superbe, mort bientôt d’une maladie de poitrine. M. de Brack