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daims familiers. Chaque barrière est surveillée par un gardien, dont l’habitation a le même caractère d’élégance coquette que les communs du château. Nous sommes sortis par une de ces portes pour nous rendre à Wooburn, jolie petite ville située au milieu du parc extérieur.

Le duc l’a dotée d’une école gratuite, et il vient d’y faire construire une église gothique. On travaille maintenant au tracé d’une route, qui exigera des dépenses immenses et telles qu’un seigneur de son envergure peut seul s’en permettre.

Le soir, la duchesse a plaisanté son monde avec humour. Une heure après le café, le thé est arrivé, et, dans l’instant où nous nous séparions, on a servi encore une sorte d’ambigu. La duchesse veut que la Reine vienne passer le mois de décembre à Wooburn, et, comme il n’en coûte rien de promettre, on le lui a promis.

Aujourd’hui, pour occuper le temps sur le chemin du retour, la Reine a tiré de son sac de voyage Notre-Dame de Paris, le nouveau roman de M. Victor Hugo ; mais cet ouvrage a bientôt paru baroque, prétentieux et ennuyeux. Nous lui avons préféré la Maison Blanche de Paul de Kock, dont le Prince s’est lassé à son tour, et qu’il a renvoyé à plus tard. En arrivant à Londres, nous en étions au jeu de former le ministère de Napoléon II ; il ne restait plus à donner qu’un ou deux portefeuilles, quand la voiture s’est arrêtée dans la George street.

Le passeport attendu de Paris n’arrivant pas, la Reine se décide à demeurer quelque temps encore en Angleterre ; elle s’installera aux bains de Townbridge, pour attendre les nouvelles. Elle soustraira ainsi le Prince aux solliciteurs, et surtout aux solliciteuses qu’il rencontre à chaque pas sur le pavé de Londres. L’autre soir encore, au Théâtre-Français, il était tout occupé d’une jolie fille, grasse et fraîche, qui lui faisait les yeux doux par-dessus la rampe de la loge, et que nous avions très bien devinée être Française. Un billet d’elle, signé : Laure, est arrivé le lendemain ; il s’agissait d’un rendez-vous. La Reine, inquiète, craignait que cette intrigue ne cachât quelque piège politique. Elle ne se paie pas des complimens qu’on lui- fait dans le monde sur la belle figure du Prince ; et, de fait, parmi tous les mérites qu’il peut avoir, la beauté est le dernier qui se présente à l’esprit. « Louis n’est pas assez séduisant pour que les femmes courent après lui, » disait-elle, hier, à Hyde Park,