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en sortir sans trop de dommage ! etc. D’argumens un peu solides en faveur de la Kultur et de ses propagateurs, point. Évidemment le Sven Hedin espagnol n’est pas né encore. La raison de cette timidité tient surtout à ceci que les Espagnols connaissent mal l’Allemagne. À part quelques savans, quelques dilettantes, quelques voyageurs, — ceux-là souvent bons observateurs, comme le notait déjà Rousseau dans un passage de l’Émile, — infiniment peu d’Espagnols manient assez l’allemand pour pouvoir goûter la littérature d’outre-Rhin et la connaître à fond ; la plupart n’arrivent pas à citer un mot allemand sans l’estropier. . Le peu, l’infiniment peu qu’ils connaissent du mouvement des idées en Allemagne et de son expression littéraire, ils l’empruntent à nos traducteurs : nous sommes leurs truchemens. À proprement parler, il n’existe pas, parmi les littérateurs espagnols en renom, de germanophiles avérés et capables d’expliquer les motifs de leurs préférences ; il n’y a que des écrivains plus ou moins mécontens de la France et qui se servent de la guerre pour nous égratigner. Égratignures pas très dangereuses et qui pourront même, en certains cas, nous être salutaires, car, après tout, nous n’avons pas la prétention, qu’ont d’autres nations, de faire croire à notre infaillibilité, ni d’échapper à la critique. Au nombre de nos plus aimables censeurs, on peut citer l’auteur dramatique très fécond et très prisé par ses compatriotes, M. Jacinto Benavento. La France, selon lui, est une coquette, qui réclame de tous des hommages, et n’accorde ses faveurs à personne. « Quelles preuves d’amitié, demande-t-il, de bienveillance même nous a-t-elle jamais données ? La France, qui s’est toujours montrée l’ennemie naturelle de l’Espagne, a travaillé sans relâche à la rapetisser et à la rabaisser. Bien entendu, nous avons tout mis en œuvre pour lui faciliter cette tâche et nous continuons patriotiquement à le faire… Aujourd’hui, celle qui nous a toujours traités avec dédain nous demande notre amitié ; elle ne nous sait même pas gré du sincère chagrin que nous éprouvons, nous ses amis véritables, à la voir mêlée à ce conflit. Elle, qui aurait dû pouvoir se défendre seule, la voici la comparse de l’Angleterre et l’alliée de la Russie, dans une guerre qu’un illustre écrivain norvégien, nullement suspect de germanophilie, a appelée la guerre de l’envie : l’envie que l’Angleterre porte à l’Allemagne. » Remercions M. Benavente de ses précieuses remontrances en