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traversant son territoire et consultera ses protecteurs pour toute concession à des étrangers…

Tous les Centre-Américains, cependant, ne cèdent pas si facilement. Les deux républiques les plus réfractaires aux empiétemens des Yankees sont le Salvador et le Costa-Rica. Là, pour des raisons historiques et géographiques qu’il serait oiseux de développer ici, la race des premiers pionniers espagnols s’est conservée plus pure que dans le reste de l’isthme ; elle s’est même renforcée en incorporant, sans en être profondément modifiée, quelques tribus indiennes ; le Salvador possède une population relativement dense, où les petits propriétaires sont nombreux ; il en est de même dans Costa-Rica, du moins dans les provinces tempérées des plateaux et sur la côte accidentée du Pacifique ; le gouvernement de cette dernière république est, depuis une trentaine d’années, le plus calme, le moins politicien de l’Amérique centrale ; pour un règlement de frontières avec sa nouvelle voisine de l’Est, la république de Panama, il a obtenu que l’arbitre, qui était le président Loubet, fit droit à presque toutes ses demandes. En revanche, les Etats-Unis se méfient : en 1858, au lendemain de l’éviction du flibustier Walker, leur arbitrage fixait les limites entre Nicaragua et Costa-Rica de telle manière que celui-ci ne pût atteindre la rive droite des lacs et de la rivière San-Juan, route possible d’un canal islamique. Ils ont réussi, depuis 1911, à s’emparer du contrôle financier, des travaux du port atlantique de Limon et des principaux chemins de fer. Mais les Costa-Riciens ont protesté à Washington contre les récentes interventions militaires au Nicaragua et à Saint-Domingue, contre la cession projetée dans la baie de Fonseca, magnifique rade naturelle sur les bords de laquelle se touchent Honduras, Nicaragua et Salvador.

Qu’importent aux doctrinaires et aux trusteurs ces réclamations de la faiblesse ? L’Europe ne les entend pas ; aux Etats-Unis, quelques voix généreuses leur font écho, notamment au Sénat, mais la sagesse publique n’est pas assez affinée encore pour que les plus prévoyans des parlementaires soient écoutés. Les conventions passées avec le Nicaragua ont été sévèrement critiquées : les sénateurs Tillman et Rayner condamnent les interprétations financières de la doctrine de Monroe et dénoncent les dangers d’une politique qui fait des Etats-Unis les