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gisemens de pétrole en Colombie a stimulé l’ingéniosité des influences yankees qui s’exercent à Bogota, et fait repousser diverses propositions de capitalistes européens.

On voit qu’il est chaque jour plus difficile de discerner, dans l’action nord-américaine en Amérique, ce qui est gouvernemental et ce qui demeure du domaine des initiatives individuelles. Le Sénat de Washington n’a-t-il pas été saisi, au printemps de 1914, d’un projet de loi affectant des croiseurs quelque peu démodés de la flotte de guerre à un service commercial entre les États-Unis et les ports de l’Amérique du Sud ? À la fin de mai 1914, on assurait, à Santiago du Chili, que cinq de ces bâtimens seraient, dès l’ouverture du canal de Panama, mis en ligne entre New York et Valparaiso ; ils effectueraient le trajet en douze jours. Évidemment, on s’étonnera en Europe de l’originalité d’un tel procédé, mais les Yankees répondraient qu’ils sont libres de faire de leurs vaisseaux ce qu’il leur plaît ; si cette manière d’amortir une escadre de guerre n’est point banale, elle n’a rien, à tout prendre, d’inamical pour personne. Les républiques latines en concluront que la « grande sœur » ne veut plus les traiter en quantités négligeables, et peut-être lui sauront-elles gré comme d’une politesse sympathique de ce qui sera surtout une habileté de négociant.

Il existe aux États-Unis une minorité de citoyens, instruits par des voyages et des études personnelles, qui apprécient exactement ce que vaut d’impopularité à leur pays l’exaltation d’un « monroïsme » sans nuances. Parmi ces observateurs d’élite, on cite les directeurs des Congrès panaméricains et du bureau des républiques américaines, à Washington ; l’un fut ambassadeur à Buenos Aires, et par le couramment l’espagnol ; tel autre, représentant des États-Unis en plusieurs capitales d’Europe, fut remarqué à la Conférence d’AIgésiras. Le très actif et intelligent administrateur du bureau de Washington, M. John Barrett, a réuni sur l’Amérique Latine une si rare collection de documens qu’elle est consultée même par les nationaux les mieux informés des républiques du Sud ; il ne se fait pas d’illusions sur les erreurs d’une politique yankee agressive, ou seulement dédaigneuse. « Nous sommes en train, disait-il un jour, de nous rendre odieux ou suspects à tous nos voisins du continent. » Certainement des tournées, qui prennent des allures d’inspection, irritent les Sud-Américains, malgré toute la