Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/742

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restera neutre, nous respecterons l’intégrité et l’indépendance de la Belgique. »

Il était trop tard. Une faute irréparable avait été commise le 2 au soir ; c’était la remise au ministre des Affaires étrangères belge d’une note très confidentielle, le plus brutal des ultimatums. Pas un mot, dans ce document, des traités de 1839 ni de la neutralité de la Belgique, mais une allusion sans précision aucune au dessein de la France d’emprunter le territoire belge en marchant contre l’Allemagne, ce qui impose à celle-ci l’obligation d’accourir à notre secours. Puis viennent des promesses, si la Belgique trahit ses devoirs de neutre ; par un euphémisme diplomatique, la lâcheté qu’on exige d’elle est qualifiée de neutralité bienveillante. L’intégrité et l’indépendance du royaume dans toute leur étendue seront respectées (quoiqu’on ne stipule rien expressément au sujet du Congo) ; le territoire sera évacué après la conclusion de la paix ; les troupes allemandes paieront leurs réquisitions argent comptant et une indemnité sera versée pour chaque dommage qu’elles causeront. Les menaces sont réservées pour la fin, in cauda venenum. En cas de résistance armée, d’obstacles apportés à la marche des Allemands, de destruction de routes, chemins de fer et ouvrages d’art, la Belgique sera traitée en ennemie. Ce seul mot en dit assez sur le sort qui lui est réservé.

Tout avait été savamment calculé pour augmenter la dépression morale que cet ultimatum foudroyant était destiné à provoquer. Sa soudaineté d’abord, après les affirmations hypocrites et endormantes du représentant de l’Allemagne à Bruxelles ; le délai de douze heures prescrit pour y répondre et jusqu’au moment choisi pour sa remise, sept heures du soir. La nuit qui porte conseil agirait sans doute par ses ténèbres troublantes sur les nerfs des malheureux, obligés de choisir entre une ignominie et un suicide. Tous ces calculs ont été vains. Dans le conseil de la Couronne, convoqué aussitôt au palais royal, aucune défaillance ne s’est produite. Il y avait là, à côté des ministres à portefeuille, des ministres d’Etat, pleins d’une légitime considération pour notre voisin de l’Est et disposés jusqu’alors à avoir confiance dans la loyauté de ses intentions. Plus leur déception a été cruelle, plus amer a dû être leur ressentiment contre l’imposteur qui se moquait des engagemens les plus solennels. Le Roi, animé d’une calme volonté