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et proportionnelle aux avantages que l’Autriche pourrait obtenir. »

C’était mettre celle-ci au pied du mur. On pouvait s’attendre à une révolte de sa part, mais point : elle continue d’accepter la discussion, tout en se refusant à l’abandon immédiat des territoires qui pourraient être concédés, et il est facile de voir qu’il y a là une divergence de vues qui restera irréductible. En vain M. de Bülow offre la garantie de l’Allemagne que la convention conclue sera loyalement exécutée : l’Italie préfère qu’elle le soit tout de suite, et elle y insiste. Finalement, car il faut en finir, M. Sonnino énumère ses demandes en les précisant. Elles portent sur le Trentin, avec une large rectification de frontière à l’Est, et sur les îles Curzolari. Trieste, avec son territoire, c’est-à-dire la majeure partie de l’Istrie, deviendra un État indépendant, sur lequel l’Autriche renoncera à toute souveraineté. L’Italie occupera immédiatement le territoire cédé et l’Autriche évacuera Trieste et l’Istrie. Elle se désintéressera complètement de l’Albanie. Il n’y avait aucune apparence que ces conditions fussent acceptées à Vienne ; elles y sont, en effet, repoussées le 1er avril. Le Trentin, soit ; le reste, non ; l’Autriche ne sort pas de là. Inutile de négocier davantage : la cause était entendue. Le Livre vert se termine par la dépêche adressée par M. Sonnino au duc d’Avarna le 3 mai : c’est la rupture.

Tout donne à croire que la surprise n’a pas été moins grande que l’indignation à Berlin et.à Vienne. On sentait bien que l’Italie s’émancipait peu à peu, mais on ne croyait pas qu’elle irait jusqu’à se détacher tout à fait et surtout jusqu’à se tourner contre les deux Empires du Centre. On était habitué depuis longtemps à la tenir dans une certaine dépendance, et on ne se rendait pas compte des sentimens qu’elle en éprouvait. Il a fallu qu’elle les exprimât elle-même dans la Déclaration de M. Salandra, pour que les yeux s’ouvrissent enfin. L’Italie avait fait beaucoup de sacrifices à la paix ; elle avoue aujourd’hui combien ils lui avaient été amers ; à quoi bon les continuer, puisque la paix n’existe plus, qu’elle a été troublée de parti pris par l’Autriche et par l’Allemagne et que la guerre couvre de feu et de sang presque toute l’Europe ? Chacun a repris le droit de songer avant tout à ses propres intérêts ; l’Italie en use ; qui pourrait le lui reprocher ? L’occasion qui s’offre à elle ne se représentera peut-être pas avant plusieurs siècles et, si les ambitions de l’Allemagne venaient à se réaliser, elle ne se représenterait jamais. L’Italie est essentiellement un pays politique ; elle ne pouvait pas se méprendre sur ce qui se passe dans le monde. On a dit avec raison que c’était le conflit entre deux