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négligés. Et l’énorme drôlerie, c’est d’avoir esquissé, même à grands traits, une histoire de la civilisation où la France n’est pas nommée. Bernhardi ne nous aime pas : qu’importe ? Il ne s’agit pas de lui, mais de sa thè3e. Et, en définitive, sa thèse souffre de sa malveillance. Elle ne paraît plus sérieuse ; et le penseur allemand qui préconise le rôle civilisateur de l’Allemagne et ne compte pour rien, dans le passé, l’activité civilisatrice de la France, vous a l’air d’un plaisantin boche.

Ne nous laissons pas divertir à ces menues cocasseries d’une doctrine qui se déroule avec ampleur et suivons Bernhardi.

L’Allemagne n’est pas contente de son sort. Elle a conscience de n’avoir pas, en Europe et dans les pays coloniaux, la place, l’aisance et la situation politique qu’elle convoite. Que lui faut-il ? Là-dessus, Bernhardi n’hésite pas : il lui faut la suprématie « mondiale. » Premièrement, c’est ce qu’elle désire ; et nous avons vu que, par chance, les désirs de l’Allemagne sont légitimes, l’Allemagne étant la bienfaitrice de l’Univers. L’Univers ne s’en doute pas. L’Univers s’en doute si peu que la bienfaisante Allemagne est environnée d’ennemis. Ni la France, ni l’Angleterre, ni la Russie ne sont disposées (remarquait Bernhardi en 1912) à reconnaître les « droits » et les « devoirs » de l’Allemagne. La Triple-Entente s’est constituée pour entraver la tâche à la fois généreuse et profitable de la Germanie. Que faire ? Il y aurait plaisir et bénéfice à convaincre de leur intérêt bien entendu ces folles, la France, l’Angleterre et la Russie, nations aveuglées et qui, par leur aveuglement, retardent le progrès de l’univers, son évolution germanique. Impossible ! Ces aveugles sont des sourdes. Et Bernhardi renonce à les convertir. C’est dommage. L’Allemagne, — Bernhardi ose le dire ! — n’est point agressive : « cela (car il insiste), personne ne peut le prétendre. » L’Allemagne serait pacifique, selon ses goûts, selon ses intérêts. Mais, à la mansuétude allemande, Bernhardi oppose l’inquiétante frénésie des trois sourdes et aveugles, la sauvage Russie « qui peut être qualifiée de puissance asiatique, » la France, qui ne rêve que de revanche, et l’Angleterre que la marine allemande empêche de dormir. Donc l’Allemagne n’essayera plus d’amadouer la Triple-Entente. La gracieuseté de Guillaume II, inutile. L’effort de la diplomatie, nul.

On n’est pas fâché de savoir ce que pense de la diplomatie, de son œuvre et enfin des conventions internationales, l’un des maîtres du pangermanisme. Eh bien ! il ne méprise pas les diplomates : il leur trouve « un talent tout particulier pour choisir dans les accords internationaux des formules qui permettent des interprétations diverses. »