Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récemment au Reichstag par M. de Bethmann-Hollweg au sujet de l’invasion de la Belgique.

« Depuis longtemps, ajoutait Haugwitz, nous étions convaincus que la paix et Napoléon étaient deux objets contradictoires… Un simulacre de paix, voilà tout ce que nous pouvions maintenir. Cette situation équivoque et forcée s’est prolongée pour deux raisons puissantes. » Haugwitz expliquait alors que, de ces deux raisons, la première était l’espoir chez le Roi de voir culbuter par quelque événement heureux le pouvoir colossal de Napoléon, ce qui le dispenserait d’une lutte difficile et dangereuse ; la seconde était qu’il fallait ménagera l’Europe aux abois une sage et dernière ressource.

Cependant, si la victoire d’Austerlitz et la retraite de l’empereur de Russie n’étaient pas survenues, le Roi eût pris part à la lutte. « Il a fallu, hélas ! disait Haugwitz, signer sous le couteau une convention qui a été mal accueillie en Prusse. La crainte d’une explosion subite a amené le Roi à la ratifier. » On comprenait cependant que ce n’était là qu’une trêve et qu’il fallait saisir la première occasion pour prévenir la prétendue alliée qui n’avait au fond d’autre jeu que celui de détruire la Prusse. Le Roi laissa alors 50 000 hommes sur le pied de guerre et secrètement fit tous les préparatifs pour rassembler l’armée sans délai.

La plus grande dissimulation était indispensable. L’empereur de Russie fut d’abord le seul dépositaire des projets de la Prusse et mis au courant de ses plans. Napoléon, qui était mécontent de Lucchesini, avait exigé le rappel de ce diplomate. « C’était tout ce qui pouvait nous arriver de plus heureux, dit Haugwitz. Nous y consentîmes de la meilleure grâce du monde, et M. de Knobelsdorf fut nommé pour compléter l’illusion. Dans les derniers jours d’août, le Roi eut de l’empereur de Russie une lettre qui ne laissait rien à désirer… Enfin, dans les premiers jours de septembre, nos préparatifs étaient assez avancés pour que nous puissions, sans inconvénient, nous en ouvrir à d’autres Puissances. Des communications furent faites à la cour de Vienne et peu après à celle de Londres. L’arrivée de Knobelsdorf à Paris et le résultat de ses premières audiences firent enfin éclater la rupture… Vous me direz, après ce que je viens de vous exposer, si j’ai eu le droit de prétendre que notre politique a été sage et bien intentionnée et que nous n’avons à nous rétracter sur rien. »