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celle qui, du bout de doigts, tâte l’eau dans la Nativité de la Vierge, et aussi le Moïse qui se déchausse et le saint Joseph qui protège, de la main, la flamme de sa chandelle dans la Nativité de Notre-Seigneur, font des gestes effectifs et qu’on a l’occasion souvent d’observer : aussi sont-ils tous attrapés avec justesse et rendus avec humour. Ceci n’est point particulier à l’artiste. C’est une caractéristique des Primitifs et de tous ceux qui les ont suivis, jusqu’au XVIe siècle. Il n’y a pas d’exemple, avant Raphaël, qu’un geste de métier soit manqué.

Nous en avons un exemple frappant, un siècle avant cette tapisserie, dans celle du Roi Clovis : ce sont les gestes des soldats se servant de leurs armes. C’est un étrange salmigondis, à première vue, que la tapisserie longue de huit mètres et demi, haute de moitié environ, qui représente comment le fort roy Clovis fu couronné, comment prist la Cité de Soissons. Mais l’imbroglio n’est qu’apparent. Etudions-le, un instant, en partant de la dernière figure à notre droite et en revenant, pas à pas, sur notre gauche. Tout se débrouille, il y a même un certain ordre de bataille. A n’en pas douter, une armée rangée sous l’étendard vermeil aux trois crapauds qui désigne les Francs, s’avance de gauche à droite, repoussant devant elle un lot d’adversaires. En avant, marchent les fantassins, maniant des armes d’hast, ce sont les gens du corps à corps : l’un d’eux, cuirassé d’extraordinaires épaulières d’or rouge, à têtes de lion, et de genouillères cornues, charge comme à la baïonnette, mais avec un fauchart, ou plutôt avec un « vouge, » emmanché d’une rondelle d’arrêt ; l’autre, à cuirasse bleue et à manches et chausses rouges, coiffé d’un surprenant casque à mèche, décharge un terrible coup de maillet d’armes sur un nègre qui s’en va.

Derrière ce corps à corps, se tiennent les gens qui se battent à distance, les archers de l’infanterie légère armés de l’arc immense qu’avaient les Anglais à Azincourt, et chacun d’eux représente un temps différent du tir. Le premier ajuste et va tirer : c’est l’archer barbu, au justaucorps rouge et coiffé d’un casque pyramidal où s’ébahit, en poupée, une petite tête de nègre ; l’autre vient à peine de tirer : son œil suit le vol de sa flèche, et toute sa machine humaine demeurant figée dans cette attention, les doigts de sa main droite ont conservé la flexion prise au moment du débandement : un troisième, en