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tapisseries, comme les portails de nos cathédrales, en témoignent. Il a répété, à satiété, toutes ces histoires de généalogies, de meurtres ou de prodiges, auxquelles nous ne comprenons rien, et qui ne préfigurent aucun de nos rêves modernes, nos rêves d’Occidentaux en quête du progrès social. L’Évangile, seul, les a « préfigurés, » avec ses images gracieuses ou touchantes de la crèche, de l’Adoration des Bergers, de la guérison des malades, des saintes femmes en pleurs, de la Pietà, des Béatitudes. Aussi ne les a-t-on pas oubliées. Ce n’est pas l’enseignement de la Bible qui a manqué à l’âme moderne, c’est l’âme moderne qui a manqué à cet enseignement, ou, du moins, qui ne s’en est assimilé qu’une partie, tout ce qui était assimilable. Le reste languit, froid, inutile, dans la nécropole des théologies. Ces énigmes, lorsqu’elles apparaissent figurées par un grand artiste, comme ici, piquent un instant notre curiosité, mais sans éveiller notre sympathie, et, dès que les érudits nous les expliquent, elles cessent de nous intéresser.


II

Notre intérêt ou notre émotion grandissent, au contraire, à mesure que nous pénétrons mieux le détail pittoresque de l’œuvre. Celui-ci est infini. Voyez comme l’artiste a tiré parti, au point de vue décoratif, de toute cette complication apologétique, réduisant à leur plus simple expression les actions imposées qui le gênaient, et en développant d’autres qui n’avaient rien à voir ici, pour leur pur agrément esthétique. Si vous lisez non plus les gloses des savans, mais ces images mêmes, vous trouverez que jamais l’art n’a fait meilleur marché du sujet, qu’à nulle époque la peinture religieuse n’a contenu tant de choses étrangères au dogme, et, en poussant plus avant l’analyse, que c’est peut-être à cela qu’elle doit d’avoir conservé son charme divers et universel.

Je parle de ces tapisseries de haute lisse, faites d’après des cartons composés tout exprès, comme s’il s’agissait de tableaux ou de fresques. C’est qu’en effet elles sont, en tout, semblables. On peut étudier, sur cette décoration murale, de laine, faite au XVIe siècle, toutes les caractéristiques de la peinture, du XVe. Même les procédés de modelé sont, autant que la matière différente le permet, identiques. Dès la première tenture à gauche, en entrant,