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se tournant vers les Puissances, leur dit, sinon par ses paroles, du moins par ses actes : « Ne convient-il pas que je prenne, jusqu’à nouvel ordre, la tutelle que vous ne pouvez pas actuellement exercer ? » Toujours est-il, qu’en attendant que la grande guerre soit terminée, il se hâte de s’établir dans la place, d’où, fortifié par la possession d’état, il pourra discuter, plus tard, de l’opportunité pour lui d’en sortir.

Dans sa détresse, Yuen Chekai s’est adressé à la Grande-Bretagne, lui demandant son appui. Le Chountien jeupao, organe officieux japonais, publié en chinois à Pékin, lui répond : « Les Puissances européennes sont dans l’impossibilité d’intervenir dans le conflit sino-japonais. La Chine s’en trouvera bien d’ailleurs, car cette intervention pourrait lui coûter cher. Peut-être la partageait-on ? Quant aux États-Unis, ils ne remueront pas. Le gouvernement chinois n’a donc qu’à s’incliner devant le Japon et à régler avec lui seul les questions pendantes. Le maintien de la paix en Extrême-Orient en dépend ! » La Chine étant, à l’heure actuelle, moins exposée que jamais à un partage de la part des Puissances, ce langage parait tenu pour l’effrayer ; mais il n’en montre pas moins que le Japon, se sentant aujourd’hui les mains libres, les étend hardiment sur elle.


Sommes-nous donc arrivés à l’heure où le rêve du vieux vice-roi chinois Tchang Tcheutong serait près de se réaliser, mais d’une autre manière ? Allons-nous assister à l’application étroite d’une doctrine de Monroe asiatique, dont M. Okuma, le président du Conseil japonais, est, dit-on, un des plus fervens adeptes ? Les hommes de race blanche doivent-ils craindre de se trouver bientôt en face de toute la race jaune, dirigée, administrée, gouvernée par le Japon féodal et militaire ? Grave problème ! Certains s’en préoccupent déjà avec une visible inquiétude.

A notre avis, on aurait tort de s’en alarmer, car la tâche que semble vouloir assumer le parti dirigeant impérialiste japonais est pleine de difficultés et de périls. Sans doute, il lui sera facile, — s’il a soin de ménager les apparences, — de prendre en mains le dictateur impuissant qui gouverne aujourd’hui théoriquement l’immense peuple chinois. Au besoin, il pourra donner à ce personnage le hochet d’une couronne impériale.