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Si exagérées qu’aient pu paraître, il y a neuf mois, des articles de ce genre, on doit convenir aujourd’hui qu’ils n’annonçaient rien d’inexact, ni quant aux prétentions japonaises, ni quant à la manière de les imposer. Le temps marche vite pendant les jours tragiques que le monde traverse actuellement. Sans doute, le Japon proteste de son désir de respecter la fameuse intégrité de la Chine ; il ne veut point de territoires, et ainsi il se tient, en théorie, dans les limites d’action fixées par la diplomatie. Toutefois, en pareil cas, ce ne sont pas les paroles qui importent, ni les formes, mais les actes ; aussi une certaine inquiétude s’est-elle fait sentir au dehors. Aux Etats-Unis, M. Richard Hobson, député de l’Alabama, a prononcé un discours sensationnel, dès le début de février ; il accusait avec netteté le Japon de vouloir mettre la main sur la Chine, engageant le gouvernement à se défier des promesses de paix des représentans du Mikado. Ce discours avait lieu au sujet de l’augmentation des armemens. Pour les Américains, en effet, la question chinoise est extrêmement importante ; ils tiennent à ce que le pays soit réellement ouvert à leur commerce, car ils voient dans cette énorme population un marché possédant pour l’avenir une force d’absorption inépuisable, et d’autre part, sa situation géographique, de l’autre côté du Pacifique, les fait redouter qu’un empire militaire ne parvienne à s’emparer de cet immense réservoir d’hommes, ne l’organise pour combattre sur terre et sur mer. La question irritante de l’émigration japonaise aux Etats-Unis a d’ailleurs causé des frictions entre les deux peuples, dont les points douloureux sont encore très sensibles.

En Angleterre, sir Edward Grey, consulté, répondit que la Grande-Bretagne veillerait à ce que fût maintenu, en Chine, le régime de la porte ouverte, afin que les commerçans anglais n’aient pas à souffrir de la situation nouvelle.

En Russie, M. Sazonoff tint à la Douma un langage analogue. Comment, en effet, les Puissances de la Triple-Entente pourraient-elles s’opposer, autrement que par d’amicales représentations, aux actes de leur partenaire, surtout si celui-ci, considérant son action actuelle comme capitale pour ses intérêts, maintient avec fermeté ses prétentions ?

En somme, la guerre d’Europe, ayant fait tomber en morceaux le consortium qui s’efforçait de conduire, à sa manière, la Chine dans les voies de la civilisation occidentale, le Japon,