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voyageurs, aidés par la connaissance des deux langues, parlée et écrite, parcourent le pays, ils y placent des allumettes, de l’eau minérale, des joujoux, des bibelots et même de la vaisselle à bon marché. De même que les coiffeurs ouvrent leurs oreilles, ces actifs commis voyageurs ouvrent leurs yeux sur toutes choses. Des bonzes bouddhistes japonais étaient même venus à une certaine époque faire de la propagande et sous leur costume religieux se glissaient dans les provinces ; le gouvernement de Pékin en prit ombrage et réclama.

L’influence japonaise pénètre aussi en Chine par la publicité, soit des journaux, soit des affiches. Les gazettes chinoises sont remplies d’annonces japonaises et particulièrement de réclames médicales et pharmaceutiques, les Chinois étant de très grands amateurs de drogues. Certains produits font une réclame vraiment colossale et on se demande comment, en certains cas, les bénéfices peuvent couvrir de si grands frais. Ainsi en est-il d’une poudre dentifrice vendue pour quelques sapèques, quelques centimes, dans un petit morceau de papier plié en quatre. Sur chacun de ces papiers se trouve la singulière marque de fabrique : un buste de général français, dont la tête est coiffée du bicorne à plumes. Cette figure se voit également sur les murs, affichée ; elle se découpe sur le ciel et brille de feux électriques dans la nuit : le voyageur en Chine la trouve dans toutes les grandes voies. Nous avons rencontré l’image du fatidique général tantôt énorme, tantôt minuscule, dans les campagnes aussi bien que dans les villes. Dès qu’on approche d’une des intéressantes cités, perchées haut sur les bords du Fleuve Bleu afin d’y dominer les grandes crues, de loin, se profilant sur l’azur, le bicorne à plumes apparaît. Nous avons quelquefois suivi longtemps cette image collée avec soin sur les poteaux télégraphiques de certaines routes, comme si elle jalonnait les chemins d’une invasion pacifique. Ainsi des millions et des millions de Chinois ne peuvent perdre de vue le symbole de la puissance du Japon. Ils apprennent à la redouter où à espérer en elle.

Mais le moyen le plus efficace d’influence, c’est, comme partout, la Presse. Divers organes reçoivent, par les moyens habituels, l’inspiration des Japonais. Beaucoup d’articles sont reproduits des feuilles du Nippon. Certains journaux leur appartiennent complètement et leurs rédacteurs écrivent, au besoin, sous la protection des soldats du Mikado. Tel fut le cas du