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Tchang Tcheu Tong, précurseur des novateurs actuels de son pays, n’avait-il pas, dans un ouvrage célèbre écrit il y a bientôt vingt ans, poussé le cri : « L’Asie aux Asiatiques ! » et envisagé un temps où, après avoir marché avec la race blanche, les Jaunes abandonneraient sa direction, s’uniraient « tous ensemble pour vaincre tous ensemble ! »

Que ces idées aient été accueillies avec satisfaction par beaucoup de Japonais de toutes conditions, il ne faut pas s’en étonner. L’affinité de race produit des effets nécessaires, et il devait sembler aux indigènes des îles du Soleil-Levant naturel et logique d’espérer en un jour où tous les peuples formés par la même civilisation, nés du même sang, poursuivraient seuls leurs propres destinées. Et qui pouvait le mieux hâter ce jour que celui qui les avait précédés dans la voie où l’on trouve, par l’emploi des méthodes occidentales, le secret de la force ? Donc, l’hégémonie raciale de tout l’Extrême-Orient, telle paraissait être l’ambition des Japonais influens dans les Conseils du pouvoir, dans les grandes familles de la noblesse, et aussi parmi les écrivains dont les œuvres ont une influence sur l’opinion. Posséder une marine de guerre puissante et une armée modèle était la conséquence fatale de ce grand dessein. Aussi cette entreprise fut ce à quoi s’appliqua le Japon pendant les années où il commença à marcher hardiment dans le chemin nouveau de la civilisation d’Occident.

En ce temps-là, les dirigeans de la société japonaise voyaient leurs projets et leurs désirs approuvés et partagés par tous. En 1871, la féodalité avait bien été légalement détruite, mais les mœurs, plus fortes que les lois, demeuraient. L’esprit guerrier subsistait vivace chez les descendans des Samouraïs. On pouvait exiger du peuple de lourds impôts, afin de pourvoir aux dépenses considérables nécessitées par les arméniens modernes ; ces agriculteurs et ces pêcheurs, pourtant bien pauvres en général, payaient de bon cœur, consciens qu’ils étaient de travailler à la gloire future du plus grand Japon. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Le développement de notre civilisation matérielle a produit dans ce pays ses conséquences ordinaires. L’industrialisme s’y est introduit avec son progrès économique, mais aussi avec ses misères : agglomération d’ouvriers en des centres urbains, prolétariat, paupérisme, socialisme, esprit révolutionnaire, anarchisme même. Il y a quelques années, —