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gardent, en leur esprit, l’image du roi, vivant symbole de leur espoir, de leur certitude. Avec cette foi gaie, le lundi, chargées du havresac, ceintes de cuir, munies de la pelle à tranchée, du bidon, de la musette bossue, leurs sections se rassemblent sur les dunes, devant le décor de la cité frêle. Leurs compagnies s’alignent. Les rangs des bataillons avancent et se prolongent. Ils se fixent sur la chaussée de briques, devant la mer furieuse, glauque et blanche qui se boursoufle, puis s’effondre. Face à face, se déploient les eaux de la tempête et les foules de la guerre.

Au bas des dunes, sur la plage même, contens de se voir en masses solides, les régimens descendent. Les escadrons trottent, s’arrêtent. L’artillerie passe et retentit. De point en point, les guides plantent les fanions pour la revue sur le sable infini. L’armée, de partout, grandit. Elle se condense sur d’énormes distances. Elle se développe. Elle évolue vite. Les soldats se sentent toute cette force qui grossit, qui s’accumule, qui s’étend, que mesure le galop des centaures lancés entre les ailes volantes de leurs manteaux. Les estafettes se hâtent. Les officiers gesticulent. La multitude, du Sud au Nord, se divise en unités linéaires. Elles s’immobilisent depuis le boulevard et la ville jusqu’aux essors des mouettes et des embruns. Bientôt, la plage disparaît sous les brigades en marche. Elles cachent, de leur progression, la tempête glauque et blanche. Elles strient le ciel de leurs armes obliques sur les épaules de quarante mille soldats. Elles règlent leurs mouvemens d’ensemble. La puissance de l’homme ingénieux se déploie devant la force éternelle de la mer et du vent. Voici le nombre et le courage. Les sonneries chantent. Les fanfares s’exaltent. Les clairons répondent. Les musiques rythment les pas de sombres légions. Au galop, sur le flanc de son armée, l’état-major paraît, son roi en tête, haut, noir et or. Suivent la fine amazone, le jeune écolier très droit sur son grand cheval bai, un général anglais large et solide, en uniforme verdâtre, des cavaliers entre les pans gonflés de leurs capes. L’essaim brillant se pose au pied d’une colline.

Aussitôt, toutes les musiques lancent au ciel leurs hymnes de bravoure. Le défilé commence sous la protection des caronades au long col. Enfouies, cachées dans le sable, à la cime de la dune, elles visent le ciel traître et les vautours d’Allemagne. Parfois on les discerne dans les nues, avant les vaines explosions de leurs bombes.