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évacués. Le voyage leur a été cruel, dans ces conditions pénibles, mais la perspective de l’arrivée leur fait tout supporter.

Une brave femme me montre cinq enfans : quatre d’entre eux ne sont pas les siens, le plus jeune a six ans, l’aînée douze : la mère est morte pendant l’occupation, le père est aux armées. Vit-il encore ? On le saura, sans doute, dans quelques jours… Vite, j’écris à une adresse que cette bonne Française me donne, pour hâter les renseignemens.

L’heure s’avance. Bientôt le train va partir. D’un pas moins lourd, les voyageurs regagnent le quai, les enfans courent, s’appellent, les yeux des mères les suivent avec moins d’angoisse. Même les vieux semblent moins cassés, d’avoir ainsi senti une sollicitude auprès de leur souffrance. Leur vue est poignante… Pour la plupart, ces hommes, dont beaucoup dépassent quatre-vingts ans, n’avaient jamais quitté le village avec son horizon de cultures ou de bois. L’église, la mairie, leur représentaient le but extrême d’une sortie. Et les voici déracinés, transplantés brutalement hors du terroir natal, pour aller, on n’en peut douter à les voir, mourir loin de leur ciel du Nord ! Et je songe que pour ceux-là, plus encore peut-être que pour les jeunes, on n’en fera jamais assez pour les consoler, d’abord, pour les venger, ensuite !

Dix heures et demie. En attendant le départ, les femmes ont fait un peu de toilette. Des brocs d’eau chaude, de grandes cuvettes, leur ont permis de débarbouiller les enfans, puis elles-mêmes. Maintenant, tout le monde a repris sa place, mais il s’est produit une modification : les cinquante « indésirables » se trouvent, comme par miracle, dans un seul wagon. Presque pimpantes, les pauvres filles, elles ont des bouquets dans les mains… C’est que, chaque jour, une donatrice anonyme envoie à la gare une charretée de fleurs, pour les évacués. Alors, sur cette misère morale, les dames suisses ont ce matin jeté un voile parfumé.

Et voici des jeunes filles, des petits garçons, portant les insignes du Comité, qui se hâtent avec des paniers. Les œufs de Pâques, peints de nos trois couleurs, portent un « Vive la France ! » Les paniers circulent, se vident dans les wagons ; une émotion invincible nous gagne : — Vive la Suisse ! — Vive Zurich !

Le train va partir. Nous sommes sur le quai, et nous