Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préparation complète des armées des deux alliées, était hors d’état de soutenir une guerre européenne et qu’elle n’oserait pas se lancer dans une si périlleuse aventure. Situation intérieure inquiétante, menées révolutionnaires, armement incomplet, voies de communication insuffisantes, toutes ces raisons devaient forcer le gouvernement russe à être le témoin impuissant de l’exécution de la Serbie. Même opinion rassurante à Berlin et à Vienne, en ce qui concernait, non pas l’armée française, mais l’esprit qui régnait à Paris dans le monde gouvernemental.

« Au point où en sont les choses, ajouta l’ambassadeur, les esprits sont tellement montés à Vienne qu’il est impossible de les calmer. En outre, le Cabinet austro-hongrois poursuit dans l’anéantissement de la puissance militaire de la Serbie une revanche personnelle. Il ne veut pas se rendre compte des fautes qu’il a commises lui-même pendant la guerre balkanique, ni se contenter des succès partiels obtenus alors avec notre concours, qu’on peut juger comme on voudra, mais qui n’en ont pas moins été des victoires diplomatiques. Le comte Berchtold ne voit aujourd’hui que l’insolence de la Serbie et les critiques dont il a été l’objet en Autriche même. Il voudrait les transformer en applaudissemens par ce coup de force, très inattendu d’un homme tel que lui. »

L’ambassadeur estimait qu’on se faisait illusion à Berlin sur la décision que prendrait le gouvernement du Tsar. Celui-ci se trouverait acculé à la nécessité de tirer l’épée, pour conserver son prestige aux yeux des Slaves. Son inaction, en présence de l’entrée en campagne de l’Autriche, équivaudrait à un suicide. M. Bollati me laissa aussi entendre qu’une guerre générale ne serait pas populaire en Italie. Le peuple italien n’avait pas intérêt à l’écrasement de la puissance russe, qui est l’ennemie de l’Autriche ; il avait besoin de se recueillir en ce moment, pour résoudre d’autres questions qui le préoccupaient davantage.

L’aveuglement du Cabinet autrichien en ce qui regardait l’intervention de la Russie a été confirmé par la publication de la correspondance des représentans à Vienne de la France et de la Grande-Bretagne. La population viennoise exultait de joie à l’annonce de l’expédition contre les Serbes, simple promenade militaire assurément. Le spectre du danger russe n’a pas troublé une seule nuit le sommeil du comte Berchtold, esprit léger, qui faisait alterner agréablement les distractions d’une vie de