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encore ils n’avaient été aussi maladroits, aussi brutaux, aussi barbares que dans ces derniers temps. Il est possible que la culture allemande ait tous les autres mérites, mais la connaissance, l’entente des âmes lui fait défaut, et cette lacune frappe tout le reste de stérilité.

L’Allemagne a en effet multiplié ses efforts jusqu’à la frénésie pour ramener à elle l’opinion qui lui échappe : nous parlons surtout de l’opinion qu’on avait de ses forces et que, de plus en plus, on cesse d’avoir. Gardons-nous d’exagérer à notre tour : ces forces sont encore redoutables, mais, malgré cela, le sentiment de plus en plus répandu est que les Alliés, à force de ténacité, en viendront à bout et ce sentiment plaide contre l’Allemagne. Elle a voulu en détruire l’effet ; elle a prodigué les coups sur l’immense ligne de bataille ; elle a repris l’offensive partout avec des succès, peut-être provisoires, mais qu’elle espérait assez brillans pour faire illusion, ne fût-ce qu’un jour, et arrêter l’Italie au moment où elle s’apprêtait à sortir de la neutralité. Depuis la mer du Nord jusqu’à l’Argonne, elle a montré un surcroît d’activité, mais sur tous les points elle a rencontré une résistance à laquelle elle ne s’attendait pas. Quand nous avons perdu du terrain, nous l’avons repris aussitôt presque totalement. Il en a été ainsi, par exemple, sur ce sommet d’Hartmannswiller que les deux armées s’étaient si longtemps disputé et dont, en fin de compte, nous étions restés maîtres. Dans un effort hardi et vigoureux, les Allemands nous l’ont enlevé, mais pour combien de temps ? Quelques heures à peine. Repoussés du sommet, nous sommes revenus à la charge et nous l’avons reconquis.

Il en a été de même à l’extrême gauche de notre ligne de bataille, où Ypres et le canal de l’Yser ont vu recommencer, avec un acharnement sans pareil, les luttes héroïques d’il y a quelques mois. Là s’est passé un fait nouveau, douloureux pour l’humanité, honteux pour l’Allemagne qui n’en a retiré d’ailleurs qu’un court profit. Elle se sentait impuissante à percer notre ligne ; les armes loyales n’y suffisaient pas ; elle en a employé d’autres ; elle a fait usage de gaz asphyxians qui ont jeté le désarroi dans nos troupes, et aussi dans les troupes anglaises. C’est là une arme nouvelle, qui a en soi quelque chose de sournois et de traître, et dont l’emploi a été formellement interdit par des conventions qui portent la signature de l’Allemagne. Nous saurons désormais — mais ne le savions-nous pas déjà ? — que, quand l’Allemagne signe un traité de ce genre, ce n’est pas du tout pour s’imposer une interdiction, mais pour l’imposer aux autres et se réserver un monopole. On aurait d’ailleurs dû se douter de ce qu’elle