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sa femme le trompait, ce serait horrible. Cruelle énigme !… Non, non ! ce n’est pas à ce problème que va notre angoisse. Ce sont d’autres inquiétudes qui nous crucifient. La France n’a aucune envie de savoir si M. Blondel est ou n’est pas cocu.

Aussi éviterai-je de vous conter longuement et par le menu comment il le devint. Il vous suffira de savoir que maladroit, comme tous les jaloux, il soupçonne son ami, Lézignan, le seul probablement qui n’ait jamais fait attention à Mme Blondel. Celle-ci, qui n’a jamais songé à tromper son mari, et surtout à le tromper avec Lézignan, vient chercher, justement auprès de Lézignan, et parce qu’il est un ami de tout repos, un recours contre d’injustes soupçons. C’est le piège tendu par un dieu malin, et Marthe, qui ne se méfie pas, tombe tout doucement dans les bras de Lézignan, qui n’y pensait guère. Ainsi s’accomplit la fatalité. Alors, et maintenant que le malheur est arrivé, Blondel retrouve sa sérénité.

En d’autres temps, aurais-je beaucoup goûté et loué à tour de bras ce récit joyeux d’une aventure de canapé ? Je ne le crois pas. La pièce de M. Sacha Guitry ne se distingue par aucun mérite particulier de toutes les pièces, — et elles sont innombrables, — qui appartiennent au genre dit : parisien. J’ai réclamé maintes fois contre l’immoralité, — ou, comme on disait avec un bon sourire, — contre l’amoralité de ce théâtre. L’adultère y est tenu pour la principale fin de l’existence : c’est l’occupation unique, gentille et d’ailleurs sans importance, de toute une société désœuvrée. Car, notez-le bien, les personnages de Jalousie, non plus que tous ceux du même répertoire, ne nous sont pas présentés comme des êtres d’exception et d’exceptionnelle dépravation, mais plutôt comme des types d’humanité moyenne et de modèle courant. Blondel n’est pas un débauché ; c’est un bon bourgeois et même un bon mari ; il a.une maîtresse, comme tant d’autres, et l’idée ne lui vient même pas qu’il mérite aucun reproche. Lézignan n’est pas un Don Juan ; c’est un homme laborieux, de mœurs rangées, de sentimens délicats et droits, et il prend sans scrupule la femme de l’ami qui sort de chez lui. Marthe n’est pas une dévergondée : c’est une honnête femme et qui aime son mari ; et voici qu’elle succombe, sans amour et sans haine, dans la chute la plus banale. Tant il est vrai que la vertu de nos femmes est peu de chose et qu’on en triomphe à peu de frais ! Combien de fois ai-je eu à refaire la même analyse des mêmes personnages et pour déplorer le même fâcheux poncif ? Combien de fois ai-je dit et redit que ce tableau de nos mœurs est mensonger, que cette image de notre société est