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Aussi n’est-il pas étonnant que des représentans de l’esprit germanique tels que Bismarck ou le vieil empereur Guillaume aient expressément considéré la Russie comme un terrain prédestiné de colonisation allemande, « un sol sur lequel pourra et devra fructifier, tôt ou tard, une race étrangère pourvue d’une mission historique. » Oui, mais tout en reconnaissant là une conception qui devait résulter inévitablement de l’attitude naturelle de l’Allemand vis-à-vis du peuple russe, M. Stephen Graham ne peut s’empêcher d’y découvrir, aussi, un témoignage saisissant de l’incurable ignorance et stupidité allemande. « L’Allemagne s’apprête à souffrir terriblement du fait de son inaptitude à sentir la force réelle de la Russie. Et c’est précisément dans la conscience de cette force, dans la conscience de leur vigoureuse individualité nationale, que les Russes puisent l’entrain joyeux avec lequel nous les voyons s’élancer au combat. La guerre leur apparaît même, avant tout, comme une délivrance définitive de leur race, trop longtemps condamnée à vivre dans une atmosphère étouffante de « germanisation. » Tout de suite, dès l’instant de la déclaration de guerre, un certain petit diable allemand de dureté morose et glaciale s’est envolé des épaules du peuple russe, sur lesquelles il pesait lourdement depuis plusieurs siècles ; et aussitôt le grand-duc Nicolas a proclamé la réconciliation avec les Polonais, et tous les sujets du Tsar sont devenus meilleurs l’un pour l’autre. De l’aveu unanime, jamais la bonté et la douceur natives des Russes ne se sont épanchées aussi librement que depuis le début de la guerre contre l’Allemagne. Et voilà pourquoi cette guerre, dans les journaux et dans les conversations privées, est couramment traitée de « guerre sainte ! » Elle signifie par-dessus toutes choses, pour les Russes, l’émancipation des moindres vestiges de l’esprit allemand, avec ses traits habituels de matérialisme pratique, de brutalité, d’impuissance à se comprendre les uns les autres ! »


Dans un livre employé à l’étude de ce que M. Washburn appelle volontiers la « nouvelle Russie, » mais que l’auteur anglais regarde, au contraire, comme sa chère Russie de toujours, dorénavant « dégermanisée » et promue à une plus entière conscience de soi-même, M. Graham devait nécessairement s’occuper de la question polonaise. Le long chapitre qu’il lui a consacré est, certes, parmi les plus admirables de tout le livre, et je regrette de ne pouvoir en traduire ici que de trop courts fragmens. Déjà nous avons entendu, tout à l’heure, M. Graham mentionner en passant l’inoubliable proclamation