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connaître, ou reconnaître, de mieux comprendre et de mieux chérir. Boni soit l’accord mystérieux et sacré qui fait aujourd’hui chanter, fût-ce tout bas, dans notre musique, l’âme de notre patrie. Je sais, de M. Saint-Saëns, du grand artiste auquel on a contesté parfois le don de la sensibilité et de la tendresse, une suite de pages formant comme un tableau musical qu’on pourrait intituler la Charité. C’est le finale du second acte de Proserpine : une distribution d’aumônes par les religieuses et les pensionnaires d’un couvent. Jamais la musique du maître ne se montra plus souple et plus onduleuse, enveloppante avec plus de sollicitude et de sympathie. Sans hâte et sans arrêt, sans bruit surtout, elle va, vient et revient, la suave symphonie de l’orchestre et des voix. Empressée, attentive, et pareille à celle dont a parlé Dante, elle circule véritablement, la caressante mélodie. Quelquefois, par la courbe de son mouvement et de son dessin, on dirait que vivante, humaine, elle s’incline vers la misère pour la soulager et la guérir. Ainsi, depuis de longs mois, dans nos hôpitaux de guerre, nous voyons des formes blanches, qui sont nos femmes, nos filles, nos sœurs, se pencher sur la souffrance de nos soldats, et jusqu’en cette musique, tendre et gracieuse comme elles, nous sommes émus de retrouver et de saluer l’image ou la ressemblance de leurs soins, de leur dévouement et de leur amour.

Entre notre art d’hier et notre âme d’aujourd’hui, qui dénombrera de si nombreuses et si touchantes correspondances ! Parmi les modernes musiciens de France, il n’en est pas un plus français que M. André Messager. Aucun ne sut mieux que lui « mettre en musique, » oui, rendre vraiment musicales, des choses aimables et spirituelles, de légers propos, ou seulement (voir, dans la Basoche, le chœur des femmes à la fontaine) des gestes gracieux. On appliquerait volontiers à tout l’œuvre de M. Messager ces deux vers d’Isoline, une de ses œuvres :


Petite lame, pur miroir,
Comme elle est claire ! On peut s’y voir.


Et si le plus souvent on s’y regarde avec un sourire, il peut arriver (témoin telle page de Fortunio et surtout de Mme Chrysanthème) que ce soit avec une vague mélancolie allant jusqu’au secret désir des larmes.

Les larmes, elles ne furent pas loin de nos yeux, le jour, — déjà lointain, — où, dans notre Paris menacé, nous relisions, ému d’une piété filiale et craintive, cette symphonie des bruits et des cris de Paris