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d’autre mot pour qualifier l’élan de certain air qui commence par ces paroles, ingénument tautologiques, du bon Sedaine : « Mourir n’est rien, c’est notre dernière heure. » La force de l’idée mélodique fait ici le plus vif contraste, non seulement avec la faiblesse de la pensée et de l’expression littéraire, mais avec la fragilité des autres élémens (harmonie, instrumentation), de la musique même. Enfin et surtout, puisque cette musique de soldats, ou d’une histoire de soldats, garde aujourd’hui encore un accent qui nous charme et nous émeut ; puisque, fût-ce au contact, à l’épreuve des terribles réalités présentes, rien d’elle ne sent la convention ou l’artifice ; c’est qu’il survit en elle un principe et comme une flamme légère de vie et de vérité.

Tout ce que Heine admirait dans notre musique, et le reste même, dont elle lui paraissait dépourvue, tout cela surabonde chez le grand musicien dont la Belgique et la France, aujourd’hui plus que jamais fraternelles, se partagent le génie et la gloire : Grétry. Le Tableau parlant pourrait bien être l’un des deux petits chefs-d’œuvre (l’autre étant la Serva padrona) de la comédie, musicale, j’entends de la comédie de caractères, au XVIIIe siècle. Avec autant d’esprit, de verve, de force, Grétry montre le plus de sensibilité que Pergolèse. A propos d’un autre ouvrage du maître, Zêmire et Azor, le Mercure de France écrivait : « La musique en est délicieuse et toujours vraie, sentie et raisonnée. Elle rend toutes les affections de l’âme. » Oui, toutes, les plus vives comme les plus douces. Les parties comiques du Tableau parlant ne sont pas indignes de Molière. Quant à des pages telles que la tremblante supplique de Zémire et Azor : « Du moment qu’on aime, » ou la sérénade de l’Amant jaloux : « Tandis que tout sommeille, » elles comptent parmi les mélodies les plus enveloppées, les plus imprégnées du charme et du mystère d’amour.

Le mystère encore, la rêverie, presque le trouble amoureux, concourent avec la grandeur et l’héroïsme, sans parler de je ne sais quelle poésie romantique, et jusqu’alors inconnue, à la beauté de ce chef-d’œuvre délicieux et magnifique, populaire et royal, qu’est Richard Cœur de Lion. Qui sait, a dit le plus musicien de nos grands poètes, Alfred de Musset, en s’adressant à la musique,


Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire
Dans tes soupirs divins nés de l’air qu’il respire…


Ce sont deux enfans, Antonio, le petit paysan, et la gentille Laurette. Et qui sait en effet (car cette musique, hélas ! est oubliée) ce qu’ils peuvent entendre, ou sous-entendre, et dire, l’un dans quelques