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portraits : ces derniers moins poussés et d’une ressemblance plus vague, mais qui pourtant peuvent ressembler encore. Portraits ou tableaux, il en est, chez Rameau, qui sont de courts et purs chefs-d’œuvre. Un programme, un sujet, ou seulement un titre, on sait que rien n’est plus conforme au génie et à la tradition de notre musique nationale. Après l’œuvre d’un Rameau, celle d’un Lesueur, puis d’un Berlioz, enfin d’un Saint-Saëns (Poèmes symphoniques), en témoigneraient tour à tour. Mais parmi les images sonores, je n’en sais pas, chez nous, de plus magnifique, de plus auguste, que l’Entretien des Muses. Pour la noblesse, le calme et la pureté, le Parnasse que Raphaël a peint sur la muraille vaticane ne surpasse pas celui que Rameau, sur un modeste clavecin, a chanté. Si grand, si haut que soit le sujet du morceau, la musique l’étend et l’élève encore. Elle tient infiniment plus que le titre n’avait promis. Dans un paysage élyséen, elle évoque les Sœurs divines. Elle donne à leur suave dialogue le caractère d’une méditation profonde et d’une égale, d’une éternelle félicité. Oui, cet entretien est doux ; oui, cette musique est bien celle de la douce France, mais d’une France qui mêla rarement à sa douceur autant de sérieux et de majesté.


Regrettez-vous le temps où nos vieilles romances
Ouvraient leurs ailes d’or vers un monde enchanté ?


A défaut de regrets, ce temps-là mérite au moins un souvenir fidèle et quelquefois attendri. Gardons-nous de fermer aux lointains « Échos de France » notre oreille et notre cœur. Si « Pauvre Jacques, » ou bien « Il était là, » m’était chanté, ce qui s’appelle, ou s’appelait autrefois chanté, j’y prendrais un plaisir extrême. » Et vous, je le gage, également. Les personnes « sensibles, » comme on disait alors, ne seront jamais complètement indifférentes à la plainte de Nina, lu folle par amour : « Quand le bien-aimé reviendra ; » moins encore au serment de Juliette : « Mais j’aimerai toute ma vie. » Cette Juliette n’est pas la fille de Gounod ; ainsi que de Nina, Dalayrac est son père. Et l’on ne saurait assez recommander, aux amateurs de comparaisons faciles autant que vaines, un parallèle entre les deux attestations d’amour : l’une passionnée et sombre, l’autre ingénue et souriante, que deux musiciens de France, inégaux et divers, ont mises sur les lèvres de la fille des Capulets.

La douce France ! Notre vieil opéra-comique fut naguère l’une des expressions les plus mélodieuses de son âme, l’un des modes les plus purs de son chant. Quand succéderont, aux jours de guerre, et de