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son tour de l’inquiétude pour ses bêtes ; il donne le cheval de bagages à garder à Nicolas, monte sur le mien et part au galop dans la direction de Kalamaki, à la recherche de nos montures ; il parle en passant à About, qui lui indique à peu près la route suivie, et continue sa course. About arrive enfin près de moi et me dit qu’ayant été entraîné sur le bord de la mer, puis à travers champs, et que ne voyant pas la fin de la galopade, il s’était résolument jeté par terre, où il était resté quelques instans assez étourdi. Curzon vient nous retrouver, suivi d’Antonio ; nous cherchons encore sur la route les quelques objets qui s’étaient égarés. Enfin, harassés, abrutis, un peu vexés, nous arrivons à Kalamaki, où nous retrouvons les chevaux qui étaient déjà à l’écurie et qui ne paraissaient pas se douter de l’ennui qu’ils nous avaient causé. Quant aux bagages portés par le cheval, ils étaient en partie démantelés, et il ne restait sur le dos de l’infidèle coursier que la selle et mon sac. Le sac de Curzon était perdu, ainsi que son fond de chambre claire. »

Ici s’arrête le récit de Garnier et c’est dommage, car si sa plume n’avait pas la virtuosité de son pinceau d’aquarelliste, elle ne manquait pourtant ni de vivacité, ni de pittoresque. Pendant les quelques semaines que dura cette excursion pénible, mais variée, Garnier eût trouvé l’occasion de recueillir bien des incidens, qu’About a notés et semés au cours de son livre, et sur lesquels nous serions aises de posséder un double témoignage. Cette randonnée, qui ôtait la plume aux doigts de l’architecte, l’avait mise aux doigts d’About, et il avait annoncé à ses amis, en particulier à Taine, qu’il voulait écrire son voyage en Morée. C’est sans doute la première idée de la Grèce contemporaine, dont le plan devait s’élargir dans la suite et s’accroître de quelques enseignemens et de beaucoup d’ironie. Est-ce le dessein d’About qui coupa court à celui de Garnier ? Vraisemblablement. En tout cas, le jeune architecte y renonça de bonne grâce et ne mania plus, en chemin, que ses crayons ou ses pinceaux, pour saisir au passage des types ou des sites caractéristiques. Peu après le retour de la caravane à Athènes, sans doute dans les premiers jours de juin 1852, les amis se séparèrent, Garnier et Curzon retournant en Italie et About demeurant à Athènes, où il persistait à s’ennuyer. Du moins n’oubliait-il pas ses amis de Paris, et voici, à titre de preuve, un charmant billet qu’il écrivait alors, le 5 juillet 1852, à la sœur