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« Le dîner fut joyeux, nous étions dans la nouveauté ; le vin résiné aidant, les propos de jeunesse eurent beau jeu ! Nous sortons prendre l’air qui nous calme un peu et voir avec regret que la lune, cachée par le brouillard et entourée d’une auréole cendrée, présageait pour le lendemain un temps détestable. »

En effet, le temps redevint très mauvais et fit beaucoup souffrir nos deux compagnons dans leur masure rudimentaire. About n’eut guère à s’en ressentir, car il songea bien vite à retourner à Athènes, prétextant divers objets qu’il y avait oubliés. Le 8 avril au soir, Garnier recevait le petit mot suivant d’About, écrit d’Egine et annonçant le départ de celui-ci :

« Mon cher Garnier, je file sur Athènes ; j’ai trouvé notre ex-bateau tout prêt à partir. Il me ramènera samedi : j’espère vous rapporter Curzon dans mes bras. En attendant, vivez en joie : je vous laisse le beau temps.

« Adieu et à bientôt. — E. ABOUT.

« Je n’ai pas le temps de voir les antiquités d’ici : je leur donnerai un coup d’œil au retour.

« Laissez-le (Constantin) prendre mon fusil, s’il a envie de vous tuer quelques perdrix ; je lui ai bien recommandé de ne pas le heurter. »

Seulement, le retour d’About ne se produisit pas et Garnier dut passer seul la vingtaine de jours dont il avait besoin pour mener à bien son travail. C’était la restauration du temple qu’on considéra alors comme celui de Jupiter Panhellénien, puis de Minerve, restitué maintenant à l’antique Aphaïa, situé au Nord-Est de l’île, à une dizaine de kilomètres de la ville, sur le bord de la mer. En dépit du froid, du vent, de la pluie, le jeune architecte ne perd pas son temps, observe, mesure, prend des levés, fouille même au besoin, pour recueillir tous les vestiges du passé qu’il veut expliquer. Fragmens de marbres, tuiles ou pierres, il scrute tous ces débris pour surprendre le secret que le temps a enseveli. Pour cela il faudrait des fouilles plus profondes et mieux conduites que celles que peut faire Charles Garnier avec les instrumens de fortune dont il dispose. Mais l’argent lui manque, ainsi d’ailleurs que l’autorisation de sonder le terrain. À ce propos, lui arrive une amusante aventure qu’il conte assez gaîment.

« Aujourd’hui (23 avril), pendant que je déjeunais, je vois apparaître à ma porte ouverte deux Grecs assez déguenillés qui