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réparer le passé et de préparer l’avenir[1]. À proprement parler, quand ils quitteront le fusil pour la plume, ils auront bien plutôt, avec quelques nuances nouvelles, à se continuer et à se développer qu’à se transformer.

Et si la fortune continue à leur sourire, si les talens ou les génies ne manquent pas aux œuvres, nous pourrons voir se lever une grande littérature, une littérature peut-être aussi grande que notre littérature romantique, ou même que notre littérature classique. Je crains cependant que, pour égaler complètement cette dernière, il ne lui manque une qualité ou une vertu, difficile à suppléer, ce me semble, et dont l’absence s’est déjà fait sentir dans plus d’un ouvrage contemporain. Il faut préciser cette crainte, tout en souhaitant très sincèrement qu’elle ne se réalise pas.

Ce n’est point médire des jeunes générations qui vont arriver à la vie littéraire, que de croire qu’elles n’apporteront pas un fonds très solide de culture classique. Formées pour la plupart par les fameux programmes de 1902, elles n’auront point reçu, dans toute son intégrité, la vieille tradition humaniste qui, au total, depuis quatre siècles, a formé comme le fondement substantiel de toute notre littérature. L’antiquité gréco-latine ne leur sera pas très familière ; du moins, elles n’en seront pas pénétrées, nourries, comme l’étaient encore leurs aînés que nous sommes, et elles n’auront pas fait, ou elles n’auront pas bien fait leur « rhétorique. » Faut-il rapporter à cette demi-lacune ce que, hier encore, on appelait « la crise du français, » et qui me paraît un fait indéniable ? Je suis, pour ma part, très tenté de le croire. Un notable fléchissement de la langue, et comme une dégradation du sens de la composition, si ce sont bien là quelques-uns des défauts que nous constatons dans les livres des nouveaux venus, comment ne pas voir autre chose qu’une simple coïncidence entre l’apparition de ces fâcheuses tendances et cette dépréciation parallèle de l’humanisme dans notre éducation littéraire ? Le culte très réel que professent d’autre part les générations nouvelles pour notre pure tradition classique française, les besoins d’esprit qu’aura fait naître la guerre suffiront-ils à rétablir l’équilibre, à nous rendre ces vertus intellectuelles dont la disparition complète serait, à tous

  1. Me sera-t-il permis de rappeler que j’ai déjà, à plusieurs reprises, indiqua cette filiation, notamment dans le dernier chapitre de mes Maîtres de l’heure ?