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intéressantes et plus dignes de la littérature que celles qui forment l’habituelle matière des « romans parisiens » La guerre nous en a révélé quelques-unes. Il est probable qu’elles alimenteront durant de longues années notre production romanesque et que le « roman de la guerre » fera longtemps prime en librairie. Évidemment, on en abusera, et l’on aura tort d’en abuser ; mais, abus pour abus, la glorification de l’héroïsme militaire vaudra bien le récit, toujours identique à lui-même, de perpétuels adultères. Romans ou nouvelles, nos écrivains d’imagination n’auront qu’à puiser dans les journaux de ces derniers mois pour y trouver d’admirables données d’ « histoires vraies » si naturellement émouvantes qu’ils auront sans doute le bon goût de ne pas les gâter, et d’y mêler le moins possible de « littérature. » Veut-on un exemple, pris entre bien d’autres, de ces nouvelles « toutes faites » comme nous en avons tant lues, tous ces derniers temps ?

C’était aux environs de Reims, vers la fin de novembre. Une batterie d’artillerie lourde allemande nous faisait un mal terrible, et elle était si bien dissimulée qu’il était impossible de la repérer. Le commandant fait appel à deux volontaires : il s’agit d’aller à la découverte des obusiers ennemis, et, à l’aide d’un téléphone portatif, d’indiquer exactement leur position. Tous les hommes s’offrent. On choisit deux maréchaux des logis. Ils parviennent, non sans peine, à une ferme d’où ils voient admirablement la batterie allemande. Le tir des pièces françaises, peu à peu rectifié, fait merveille, démonte un obusier, que dix hommes. Mais bientôt le téléphone se fait de nouveau entendre :


Cessez le feu, mon commandant. Ils ont changé de place. Ils quittent le bois. Ils se défilent sur la route maintenant. Ils viennent vers la ferme… Quelle ferme ? Mais la nôtre, parbleu !… Ils viennent vers nous… Nous sauver ? Vous nous dites de nous sauver, mon commandant… Mais qui vous donnera le repérage, alors ?… Non, non, nous restons… D’ailleurs, nous sommes dans le grenier. Ils ne nous verront peut-être pas. Attendez une minute avant de reprendre… Ils mettent en batterie à trente mètres de nous… Je vous dirai quand ils seront bien installés… Alors on pourra y aller carrément… Partir ?… Oh ! mon commandant, c’est trop tard… Les Boches sont dans la cour. Nous ? Mais ça ne fait rien… Ils sont en place… Allez, vous pouvez tirer… Tirez sur nous, mon commandant… Mais tirez donc !


Quelques secondes après, les hommes, la ferme, la batterie