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étions jadis, et dans tous les ordres, entreprenans, énergiques, audacieux, et l’aventure même n’était point pour nous déplaire. Nous étions devenus timorés, passifs, presque démissionnaires, et partout, nous nous laissions distancer et supplanter par nos orgueilleux rivaux, qui, eux, criaient bien haut leur fortune et notre déchéance. Nous avions l’air de leur donner raison. Ces parvenus insolens effarouchaient notre modestie native, et nous étions disposés à les trouver très forts, puisqu’ils nous avaient battus. Nous étions dégoûtés de l’action, puisque l’action nous avait si mal réussi, et sans d’ailleurs jamais cesser de travailler, mais renonçant presque à toute vie extérieure, nous nous renfermions dans une tristesse morne et pensive qui perçait dans tout ce que nous écrivions. Grâce à Dieu, voilà qui est en train de changer. Nous avons repris conscience de notre génie propre sur les champs de bataille, et à la grande surprise de nos ennemis, de nos amis eux-mêmes, nous nous sommes retrouvés les descendans authentiques de ces Gaulois qui émerveillaient César. La victoire achèvera de nous rendre en nous-mêmes la confiance que nous avions failli perdre, et, cette fois, le goût de l’action ne nous quittera plus. La guerre finie, nous regagnerons le temps perdu depuis près d’un demi-siècle. Notre commerce, notre industrie, reprendront sur les marchés du monde la place à laquelle ils ont droit ; l’argent français redeviendra moins timide ; nous voyagerons ; nous n’ignorerons plus l’étranger et nous nous ferons connaître de lui ; nous ne laisserons pas exploiter par d’autres les colonies que nous avons conquises. En un mot, nous voudrons continuer à être un grand peuple, et à le paraître. Et notre littérature se ressentira de ces dispositions nouvelles ou renouvelées. Elle aura l’ardeur, elle aura la virilité qui conviennent à une nation victorieuse ; un sang jeune, hardi, généreux, circulera dans les œuvres de nos écrivains ; ils répudieront les allures efféminées, alanguies, chlorotiques de quelques-uns de leurs prédécesseurs ; leurs tristesses mêmes auront je ne sais quoi de mâle et de confiant ; ils nous apprendront à vouloir ; ils nous pousseront à agir ; ils nous enseigneront que la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue, si elle n’était pas un effort constant vers le mieux, la réalisation progressive et méritoire d’un idéal d’humanité supérieure.

Cet idéal, il est à croire que nos prosateurs et nos poètes de demain auront à cœur de le définir. Et d’abord, il me parait