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camp et officiers d’ordonnance, fut aussitôt admis dans la salle où se tenait la séance. Ayant fait le salut militaire, il s’approcha de la table et, tirant de sa poche un revolver, dit tout haut à Hussein Avni : « Séraskier, ne bouge pas » et lui logea une balle dans la poitrine. Le ministre put encore se lever, se traîna jusqu’à la chambre voisine, s’y abattit sur un divan, et rendit le dernier soupir. Pendant que les autres ministres, consternés, ne savaient que faire, Hassan tira dans le tas encore un ou deux coups, jusqu’à ce que les ministres se fussent tous réfugiés dans le petit salon à côté, où venait d’expirer leur collègue de la Guerre. Kachid pacha seul ne bougea pas : il était mort. On pense qu’il a succombé à la rupture d’un anévrisme, amenée par la frayeur ; mais il était aussi atteint par une balle, dont la blessure ne semblait pas, à la vérité, devoir être mortelle. Cependant, le ministre de la Marine, Ahmed pacha Kaissarly, qui était assis au bout de la table, s’approcha de Hassan par derrière et le saisit à bras-le-corps en l’empêchant de faire des mouvemens avec ses mains, dont l’une tenait le revolver et l’autre un yatagan. Ahmed Kaissarly était un vieillard très robuste, gras, replet ; il avait été simple matelot à la bataille de Navarin, à ce qu’il me dit ; son bâtiment sauta, il fut miraculeusement sauvé. C’est de lui que je tiens le récit du drame de Hassan. Ce dernier cherchait à le frapper par derrière avec le yatagan et lui fit quelques blessures à la main et à la tête : le brave marin ne lâchait pas prise, attendant toujours que quelqu’un vînt à son secours. Mais les domestiques de la maison, accourus au bruit de la détonation, et voyant qu’il y avait là une boucherie, s’enfuirent et allèrent chercher des soldats. En attendant, la lutte entre le vieux ministre et le jeune Circassien était trop inégale. « Lorsque j’ai vu que mes forces s’épuisaient, me raconta le ministre, je poussai doucement Hassan jusqu’à un haut pas sur lequel était dressée la table du Conseil : là, je le jetai violemment par terre et en profitai pour m’enfuir. » Resté seul, Hassan tira encore quelques coups de revolver en l’air et se porta ensuite vers la chambre sans issue où s’étaient réfugiés et barricadés les ministres. Il se mit à enfoncer la porte que les autres tâchaient de ne pas laisser ouvrir. Lorsque Hassan, plus fort que les vieillards effarés qui se trouvaient de l’autre côté, parvenait à entre-bâiller la porte, le grand vizir Mehmed Ruchdi Mutardjin lui tapait sur la main