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tant que, même à Strasbourg, « la plupart des gens du peuple » ne parlent et n’entendent que l’allemand, prescrivit l’ouverture de « plusieurs écoles où la langue française serait enseignée ». Et il ne s’agit là ni d’écoles française obligatoires, ni de fermeture des écoles allemandes, ni même d’écoles françaises d’où l’allemand serait exclu.

Sur l’étendue des progrès accomplis à la veille de la Révolution, les témoignages diffèrent un peu. Le Patriotischer Elsaesser (1776) affirme que « la langue française est comprise, non seulement dans les villes, mais même dans les villages, et parlée par presque tout le monde. » Dans ses Mémoires, Mme d’Oberkirch, qui fit le voyage d’Alsace à la même époque (1778), est moins affirmative : « Les gens de basse classe, dit-elle, savent généralement peu le français. » Horrer, dans son Dictionnaire géographique, historique et politique de l’Alsace, dont le premier volume, le seul malheureusement que nous ayons, est de 1787, écrit au mot Alsace : « La langue française est aujourd’hui la langue ordinaire de tout ce qui est au-dessus du petit peuple, elle s’est même introduite dans les villages au point que tout Français peut s’y faire comprendre et qu’une partie des gens de la campagne le parlent de manière au moins à se faire entendre. » En revanche, comme nous l’avons vu, le gouvernement constate en 1788 que, même à Strasbourg, « la plupart des gens du peuple » ne parlent et ne comprennent que l’allemand. De même l’application de la loi sur la procédure en français (1786) se heurte à la difficulté de trouver dans les campagnes des sergens capables de notifier les actes rédigés en français. « Dans presque tous les villages, dit le procureur général du comté de Ribeaupierre, il n’y a pas de sergent qui sache le français. » On remarque jusqu’à la veille de la Révolution que presque tous les paysans signent même leur nom en caractères gothiques. Il semble donc bien que, si la langue française était devenue la langue ordinaire de « tout ce qui est au-dessus du petit peuple, » — et la publication de plus en plus courante d’ouvrages écrits en français par des Alsaciens en est la preuve, — elle n’est encore ni parlée ni comprise, sauf exceptions, dans la population rurale et ouvrière. C’est déjà un résultat considérable, d’autant plus que les idées françaises se sont infiltrées jusque dans les milieux où la langue n’a pas encore pénétré.