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l’ambassadeur est déjà couché, » et il me tendit le pli. Il était évident que l’employé du télégraphe, sachant déjà que quelque chose d’extraordinaire était arrivé, lui en avait soufflé un mot. Mais moi, croyant qu’il s’agissait de l’une des nombreuses dépêches consulaires que nous recevions quotidiennement, je dis au concierge de la garder jusqu’au lendemain. A peine étais-je couché et endormi qu’on vint frapper à ma porte pour me dire que le fils du ministre de Grèce demandait absolument à me parler. Il pouvait être minuit : je fus très inquiet de me voir déranger à une heure aussi indue. Le jeune M. Coundouriotis entra dans ma chambre à coucher, tout effaré, et me lut le déchiffrement d’un télégramme que son père venait de recevoir de Salonique : il l’avait chargé de le porter au général Ignatieff, pour lui demander si nous avions reçu les mêmes nouvelles. Il s’agissait du meurtre des consuls. Mais comme on avait dit que l’ambassadeur était souffrant et couché, c’est auprès de moi que M. Dimitry Coundouriotis s’acquittait des ordres de son père.

Je m’habillai en toute hâte, fis réveiller l’ambassadeur pour lui communiquer ces importantes nouvelles, et demandai au concierge le télégramme chiffré qui était également de Salonique et relatait les mêmes faits émouvans. Pendant qu’on déchiffrait la dépêche, il se produisit un détail comique, ce qui ne manque jamais de mettre un grain de drôlerie dans les événemens les plus tragiques. Craignant qu’avec l’excitation des esprits qui régnait à Constantinople, surtout parmi les Musulmans, les nouvelles de Salonique ne donnassent lieu à quelques désordres ou mouvemens de fanatisme, je fis appeler l’intendant de notre palais, un ancien sous-officier de marine, nommé Nicanoff, pour lui recommander de bien veiller à ce que les portes fussent fermées, que les matelots qui faisaient le service de garde à l’ambassade la nuit fussent à leurs postes et que, dans le cas où quelque chose d’extraordinaire viendrait à sa passer ou paraîtrait se préparer dans la rue, on vînt aussitôt m’en avertir. Quelque temps après, le prince Tzérételeff rentrant à l’ambassade trouva la porte barricadée. Un matelot était posté avec fusil près de l’entrée et Nicanoff se promenait dans la cour d’un air agité. « Qu’y a-t-il ? demanda Tzérételeff. Pourquoi ces précautions inusitées ? » — « On assassine les consuls, » fut la réponse. Tzérételeff vint aussitôt le raconter à ses collègues, qui étaient en train de déchiffrer le fameux