Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

habitude, que l’effet immédiat du système qu’il proposait : les insurgés rassurés, l’Europe écartée, la Russie, c’est-à-dire lui-même, dominant à Constantinople. Ce qui en résulterait, il s’en préoccupait moins. On verrait plus tard ce qu’il y aurait à faire.

C’est à cette époque environ que je terminai mon Mémoire sur la question d’Orient et les moyens pour nous de la résoudre en notre faveur. Il concluait à une occupation des Détroits, dès la première provocation possible, à la constitution de Constantinople en ville libre sous la protection russe, et à la formation on Europe d’États chrétiens indépendans à la place de l’Empire ottoman, qui serait réduit à l’Asie seule. L’Egypte devait être donnée aux Anglais, la Syrie à la France, les îles de l’Archipel avec la Thessalie et l’Epire à la Grèce et le Continent partagé entre la Serbie et le Monténégro augmentés, une Bulgarie et une Macédoine à créer. C’est contre cette dernière idée que le général Ignatieff s’éleva le plus, lorsque je lui eus soumis le Mémoire avec prière de l’acheminer à Saint-Pétersbourg. « Il faut là un grand État, me dit-il, jamais de Macédoine. » Et pourtant, quand j’y pense, à vingt ans de distance, et connaissant les difficultés que nous crée aujourd’hui justement cette Macédoine et que nous a créées la grande Bulgarie, je vois que mon idée n’était pas absolument mauvaise.

Seulement, l’exécution du programme demandait une décision et une énergie qui faisaient défaut au gouvernement d’Alexandre II et surtout totalement à son ministre des Affaires étrangères, dans l’état où il se trouvait alors. Mon Mémoire non seulement n’a pas été pris en considération, mais n’a même pas été lu par le prince Gortchakof, quoique après ma gestion de trois mois au moment où commençait la crise orientale, j’aie été considéré par l’Empereur et aussi par le ministre comme un diplomate qui avait quelque valeur et dont le jugement n’était pas absolument faux (23 juin). Mais, à peu près à cette époque, certaines circonstances m’obligèrent à envoyer en Allemagne ma famille, et à l’y rejoindre en décembre. Au moment où je quittais Constantinople, la politique d’entente avec l’Autriche préconisée par M. Novikoff triomphait en plein : « Le centre reste à Vienne, Berlin s’y rallie, » télégraphiait Jomini, qui avait rejoint l’Empereur à Livadia. Les idées du général Ignatieff avaient échoué, et à l’une de ses dépêches où