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çaise est mesurable. Au moment de l’annexion, le nombre des Alsaciens connaissant le français était fort restreint. Paysans et artisans n’en avaient aucun besoin, sauf dans les quelques districts français de langue du Sundgau et des Hautes-Vosges. C’est seulement dans les familles nobles, dans la haute bourgeoisie, dans le monde savant, qu’on est bilingue, et c’est un mérite assez rare pour qu’on en fasse compliment. Ainsi, dans l’oraison funèbre d’un seigneur de Ribeaupierre, en 1638, le pasteur rappelle avec éloge que l’illustre défunt parlait aussi couramment l’allemand que le français. Pourtant la nécessité de savoir le français était déjà reconnue et admise dans les villes, et, à partir de l’annexion, elle s’imposa davantage par le contact plus fréquent avec les agens ou visiteurs français, fort ignorans de l’allemand à de bien rares exceptions. La femme d’un vieux conseiller du Conseil de Brisach disait en 1675 qu’elle n’avait connu, en toute sa vie, que deux Français capables de se mêler à une conversation en allemand. Les Alsaciens se trouvaient ainsi amenés, sans contrainte matérielle, à apprendre le français. Un édit de 1686, qui exigeait que les fonctionnaires locaux, même ceux des seigneuries protestantes, fussent catholiques, contribua à répandre la langue française, bien qu’il n’eût pas ce but. Il fallut en effet, sur certains points, recourir à des immigrés, qui propageaient naturellement leur idiome maternel, même sans intention préconçue, puisqu’ils ne savaient pas celui du pays. Aussi le nombre des précepteurs et des écoles privées qui enseignent le français augmente, et, dans les villes importantes comme Strasbourg ou Colmar, les moyens de l’apprendre ne manquent plus à quiconque en éprouve le désir ou le besoin. Il y en a à tous les prix. Les fils de famille sont de préférence envoyés en France ; les moins aisés recourent aux échanges d’enfans. Les protestans vont à Genève, Montbéliard, Sedan ; les catholiques à Metz, Nancy, Besançon, Belfort. Même de simples artisans, dans les vingt dernières années du siècle envoient leurs fils en pays français. Des prônes et des prêches en français font leur apparition à Schlestadt, dès 1649, à Strasbourg en 1680, avant l’annexion. Mais la royauté française songe si peu à en faire une obligation, ou même à les encourager, que le prêche français fut supprimé à Strasbourg après l’annexion. Louis xiv ne veut pas en Alsace de prédicans français qui pourraient « pervertir » ses fonction-