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L’Allemagne s’abstint de marquer tout de suite sa déception et son ressentiment. Elle.affecta même, durant toute une année, d’accueillir l’accord franco-anglais et l’entente cordiale avec autant d’équanimité et de modération qu’elle avait accueilli en 1891 l’alliance franco-russe. C’est seulement au lendemain de la bataille de Moukden qu’elle crut pouvoir se démasquer et profiter des embarras russes en Extrême-Orient pour faire obstacle tout ensemble à l’action de la France au Maroc et à l’exécution de l’accord conclu l’année précédente entre la Grande-Bretagne et la France sur la question marocaine. L’Allemagne, abattant enfin son jeu, se figurait qu’elle allait du même coup dénoncer aux yeux du monde la faillite de l’alliance franco-russe et la vanité de l’entente cordiale esquissée in extremis entre la Grande-Bretagne et la France.

Le printemps de 1905 a été, à cet égard, un des tournans vraiment capitaux et fatidiques de l’histoire. L’empereur Guillaume II en a eu le pressentiment, car il a hésité. Avant de faire ce voyage de Tanger qui a été le premier pas sur la voie fatale, il a d’abord comme talé et averti la France, en annonçant à notre ambassadeur, chez qui il s’était invité à dîner, son projet déjà conçu et arrangé. Puis, lorsqu’il était en route, il s’est arrêté à Lisbonne et a consulté là son ministre, M. de Tattenbach, qui avait été précédemment en mission diplomatique au Maroc, et qui devait bientôt y jouer un nouveau rôle. A Tanger même, dans le port, l’Empereur n’avait pas pris encore son parti ; il interrogeait le commandant d’un de nos bâtimens de guerre venu, selon les usages de courtoisie internationale, le saluera son bord, et lui demandait si l’état de la mer permettait de débarquer. Il débarqua : les dés étaient jetés, la partie allait commencer.

Ce qu’elle a été, les pourparlers de 1905, les négociations et l’Acte même d’Algésiras, puis, quelques mois plus tard, les négociations et l’accord de 1909, enfin, après les troubles graves du printemps de 1911 et l’entrée des troupes françaises à Fez, le geste brutal d’Agadir, les négociations de l’été et de l’automne, la conclusion du traité du 4 novembre 1911, en sont les témoignages et résultats extérieurs. Mais la vraie partie, celle que jouait ou voulait jouer l’Allemagne, était singulièrement plus tragique encore que les épisodes pourtant si émouvans de cette rude période. La partie que tentait l’Allemagne, devant une