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IV

Contre la politique d’hégémonie, au moment où Guillaume II l’inaugure, en 1891, l’alliance franco-russe est précisément le contrepoids nécessaire, et ce n’est un médiocre mérite, ni pour la France isolée depuis 1870, ni pour la Russie éclairée par l’expérience, que d’avoir, à ce tournant décisif, reconstitué en Europe l’équilibre.

A partir de cette date, en effet, la Triple-Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) et la Double-Alliance (France, Russie) s’opposent, se confrontent, se mesurent, se limitent. Il y a désormais en Europe, et peu à peu dans le monde tout entier, au moins deux systèmes de forces, deux centres d’action ou de résistance, deux groupes dont chacun a, en outre, sa gravitation, son rayonnement, ses satellites. En dehors des deux groupes demeurent des États considérables ; l’un, la Grande-Bretagne qui, assez longtemps encore, et jusqu’à ce que la tendance d’hégémonie d’un des groupes apparaisse décidément menaçante, continuera à se complaire dans son « splendide isolement ; » l’autre, les États-Unis de l’Amérique du Nord, qui, trop éloigné de la scène des conflits, et soustrait par la principale maxime et devise de sa politique à l’obligation ou à la tentation de prendre parti dans les affaires du vieux monde, s’adonne librement à l’œuvre magnifique de son propre développement. D’autres États encore restent neutres, les uns par nature et définition constitutionnelle (alors que ce genre de neutralité paraissait garanti par le respect des conventions et des contrats), les autres, parce qu’ils ne voient pas de nécessité de se prononcer, parce qu’ils se réservent ou qu’ils préfèrent garder leur indépendance. — Entre les élémens des deux groupes se produiront parfois, avec le plus ou moins d’assentiment et d’agrément des alliés respectifs, des modus vivendi partiels, des accommodemens ou même des arrangemens spéciaux. L’Italie, notamment, en aura de tels, soit avec la France, soit avec l’Angleterre et la Russie. L’Autriche-Hongrie se trouvera, à de certains momens, en sympathie avec la France ou même avec la Russie. — Mais, d’une façon générale, sur la plupart des questions, chacune des deux alliances aura son attitude nettement distincte et antinomique. Mundus traditus