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traditionnelle politique de l’équilibre, du contrepoids. Par surcroît de précaution, et dès cette année 1873, le prince chancelier cherche à attirer dans l’orbite de la politique allemande l’Italie, devant laquelle il agite le spectre d’une France cléricale et de la restauration du pouvoir temporel du Saint-Siège. Et, dans l’automne de 1873, le roi Victor-Emmanuel Ier fait sa double visite aux cours de Vienne et de Berlin.

La France, pendant ce temps, se reconstituait, pansait ses blessures, réorganisait son administration, ses finances, son armée, mais surtout (et ce fut l’œuvre du gouvernement de M. Thiers) libérait son territoire. — Son relèvement paraissait sans doute trop rapide, et la révélation nouvelle de sa vitalité, de sa richesse, de ses inépuisables ressources, de sa force renaissante, excitait à la fois trop de convoitise et d’ombrage. Car à peine le sol français était-il redevenu libre, à peine aussi, un peu plus tard, au début de 1875, la loi organique du nouveau régime (constitution républicaine de 1875) et les principales lois militaires, administratives et financières eurent-elles été votées par l’Assemblée nationale, que l’Allemagne fronçait le sourcil et faisait mine de nous chercher querelle. — Je n’ai pas besoin de rappeler comment alors la Russie et l’Angleterre s’émurent, comment l’alerte fut conjurée et comment la menace s’évanouit. C’est en ce printemps de 1875 que réapparurent, dans le nuage aussitôt dissipé, les premiers linéamens d’une Europe qui déjà, par un prophétique augure, prenait les traits, esquissait le visage de la future Triple-Entente. Mais ce n’était là qu’une courte vision, et l’ombre de l’Allemagne devait se projeter longtemps encore sur cette Europe un instant pressentie et évoquée.

La crise orientale de 1876-1878 et le Congrès de Berlin qui en fut le dénouement, s’ils ont consacré peut-être cette première période du régime bismarckien, s’ils en ont été l’apogée, ont vu cependant se préparer le schisme, ou du moins les premiers froissemens, entre l’Allemagne et la Russie. Le prince de Bismarck, en se représentant au Congrès de Berlin comme « l’honnête courtier » entre les politiques et les ambitions rivales de l’Orient, entre la Russie, l’Autriche-Hongrie et l’Angleterre, ne put cependant s’empêcher de faire pencher la balance en faveur de l’Autriche-Hongrie, et, par conséquent alors, de la Grande-Bretagne. — Il apparaît en outre