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Bulgarie en lui accordant les satisfactions qui effaceraient pour elle les pires conséquences de la faute qu’elle a commise en 1913, lorsqu’elle a traîtreusement attaqué ses alliés de la veille et essayé de les dépouiller des conquêtes que l’Europe leur avait reconnues. Certes, nous n’excusons pas la Bulgarie à cette époque, mais à tout péché miséricorde, surtout lorsque l’intérêt général le conseille et le commande. Nous sommes d’ailleurs convaincu, pour notre compte, que l’attribution de Cavalla à la Grèce a été une erreur et qu’aucune paix durable ne sera rétablie dans les Balkans aussi longtemps qu’elle ne sera pas réparée. La Grèce peut se passer de Cavalla, la Bulgarie non.

Est-ce l’opinion de M. Venizelos ? Il ne le dit pas, mais il agit, ou plutôt il propose d’agir comme s’il le pensait : il estime qu’il faut désintéresser la Bulgarie en lui cédant le territoire qui contient Cavalla. Il va plus loin et, déliant la Serbie de l’engagement qu’elle avait pris envers la Grèce de ne faire, sans l’adhésion de celle-ci, aucune concession territoriale à la Bulgarie, il conseille cette concession. Tels sont les sacrifices qu’a voulu faire M. Venizelos : hâtons-nous de dire qu’ils n’allaient pas sans de très larges compensations en Asie à Smyrne et dans la région qui l’entoure. La superficie à céder en Europe n’était guère que de 2 000 kilomètres carrés et contenait une population hellénique de 30 000 âmes. On aurait gagné en Asie 125 000 kilomètres carrés, « la même surface que la Grèce, doublée à la suite de deux guerres, » et 800 000 âmes. Un pareil échange était assurément très digne d’être pris en considération. Que dire du procédé du Cabinet actuel qui, dans une note officieuse, a présenté M. Venizelos comme ayant voulu céder Cavalla à la Bulgarie, sans dire un mot des larges compensations qu’il prétendait assurer à la Grèce ? M. Venizelos a mal pris la chose : qui ne l’aurait fait à sa place ? Il a voulu rétablir la vérité tout entière et il a publié ses deux lettres au Roi. Qu’on le blâme si on veut, il est impossible de ne pas l’excuser. L’affaire n’a d’ailleurs pas eu de suite au moment où M. Venizelos l’avait proposée, non pas, assure-t-il, parce que le Roi s’y était opposé alors, mais parce que la Bulgarie, ayant réclamé à Berlin le versement d’un acompte de 150 millions sur l’emprunt contracté avant la guerre, il en a lui-même conclu, peut-être un peu vite, que la Bulgarie était définitivement engagée avec l’Allemagne et qu’il était devenu impossible de compter sur sa neutralité, encore moins sur son concours. Voilà toute l’affaire dans ses grandes lignes. Les révélations de M. Venizelos ont produit une immense émotion