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dernier et cette publication est un fait trop important pour être passé sous silence. On a reproché à M. Venizelos de l’avoir faite. Il est certain que l’acte est peu correct ; mais, s’il y a eu incorrection de la part de M. Venizelos, ce n’est pas la première qui ait été commise : la première a été faite contre lui par le Cabinet qui lui a succédé et il est en droit de dire qu’il s’est seulement défendu. M. Venizelos a donné sa démission parce qu’il n’a pas pu décider le Roi à intervenir auprès des Alliés dans leur entreprise contre les Dardanelles et Constantinople. La cause de sa chute est là, non pas ailleurs. Pour quoi donc a-t-on réveillé, si ce n’est pour lui nuire, pour essayer de le discréditer dans l’opinion, une affaire toute rétrospective qui, de son propre consentement, n’avait pas eu de suites ? C’est un procédé qu’un homme de meilleure composition que M. Venizelos aurait difficilement accepté. Quant à lui, grand homme d’État sans doute, mais homme de lutte, ancien conspirateur et insurgé habitué à des combats corps à corps, il n’a pas pu se retenir de répondre à des coups par des coups et, puisqu’on avait mis en cause sa politique en n’en découvrant qu’une partie, il n’a pas résisté à la tentation de la découvrir tout entière, c’est-à-dire d’en montrer les contre-parties. Et ce n’est pas lui qui a perdu le plus à cette révélation : sa renommée d’homme d’État en a plutôt grandi dans le monde.

Donc, au mois de janvier dernier, M. Venizelos a adressé deux lettres ou mémoires au roi Constantin pour lui faire part de la manière dont il envisageait alors les intérêts de la Grèce ou plutôt de tout l’hellénisme. On a dit que la politique qu’il y exposait était nouvelle chez lui et qu’il en avait précédemment soutenu une autre. C’est possible, mais les situations changent et la marque d’un homme politique est de changer avec elles, lorsque ce changement ne porte d’ailleurs atteinte à aucun de ces principes auxquels l’honneur d’une à le est de rester fidèle. Assurément on n’était pas dans un cas de ce genre. La Grèce avait été invitée par l’Angleterre, c’est-à-dire par les Alliés, à sortir de la neutralité pour porter secours à la Serbie. C’était au moment où celle-ci était menacée par l’Autriche d’une agression nouvelle sous laquelle elle semblait devoir succomber : elle l’a, au contraire, repoussée par la victoire, mais qui aurait pu le prévoir ? La Grèce était d’ailleurs liée à la Serbie par un traité : à tous égards, elle devait lui donner son appui, mais elle ne pouvait le faire que si elle ne s’exposait pas elle-même à une agression de la part de l’inévitable Bulgarie. C’est ici que M. Venizelos a montré un coup d’œil vraiment supérieur : il a compris qu’il fallait désarmer une fois pour toutes la