Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rébarbative et une grimace de docteur. Que de bonhomie, dans leur compagnie admirable ! C’est un Stoïque (et les Stoïques ont de la fierté) ce Guillaume du Vair qui présente son livre en ces termes : « Quant à ce peu qui est du mien, qui n’est quasi que la disposition et les paroles, je vous le présente comme Apelle et Polyclète faisaient leurs tableaux et images, le pinceau et le ciseau encore à la main, prêt à réformer tout ce qu’un plus délié jugement y trouvera à redire. » Ils ont tous cette aménité souriante et cette politesse. Seul est impérieux et violent Pascal ; il nous malmène et il nous tarabuste. Mais ce n’est pas lui : c’est Dieu ! Il ne veut être, lui, qu’un homme qui s’est mis à genoux et a prié Dieu de soumettre à l’évidence nous et lui. Entre Pascal et tous les autres, il y a un abîme ; et saint François de Sales, si je ne me trompe, s’entretient plus commodément avec Montaigne ou Honoré d’Urfé qu’avec le Solitaire, lequel n’a de commerce qu’avec Dieu. Comme il nous objurgue pourtant, Pascal ! Donc, il nous aime. Il nous aime en Dieu ; les autres, dans le monde. Et voilà nos amis du temps passé, bons amis et perpétuels amis, soit pour vivre, soit pour le dernier acte de mourir.

Je me souviens qu’aux premiers jours de la guerre, un paysan qui partait regardait par la fenêtre du wagon la campagne, les champs, les vergers fleuris de soleil, les collines gracieuses et disait : « Ça vaut la peine de se battre pour tout ça !… » Et aussi pour ceci qui est l’âme de la France, son âme digne de son visage ! Alors on a vu animés d’une ardeur égale, pour la défense du double héritage, ceux qui avaient à garder le sol, ceux qui avaient à garder la pensée, soldats soudains et soldats pareils, ce paysan que je n’ai pas revu et ce lettré issu de la lignée qui va de Montaigne à Vauvenargues.


ANDRE BEAUNIER.