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reurs et archiducs, coutumes, usages et privilèges particuliers des lieux sans aucune innovation. En outre, trois Alsaciens étaient appelés à faire partie du nouveau Conseil, dont un savant abbé, dom Bernardin Buchinger, et un gentilhomme de bonne maison, Georges-Frédéric d’Andlau. Parmi les quatre membres français, on peut citer, à côté de Colbert de Croissy, président, Bénigne Bossuet, conseiller au Parlement de Metz, père du futur aigle de Meaux. Enfin, le nouveau conseil était réintégré à Ensisheim, ce qui renouait la tradition et contribua peut-être à attirer à la cérémonie d’installation (4 novembre 1658) des représentans de tous les États de l’Alsace, succès moral très précieux. Les requêtes et les plaidoiries pouvaient être présentées en allemand aussi bien qu’en latin et en français, ce qui explique l’adjonction au Conseil de quatre secrétaires-interprètes.

Le Conseil souverain espérait bien, quoique les lettres patentes de fondation eussent évité de le dire expressément, que tous les appels de toutes les juridictions de l’Alsace lui seraient soumis. Il y eut un mécompte. En dehors des terres héréditaires d’Autriche, on continua, en Alsace, à s’abstenir d’appel ou à s’adresser à Spire. Le Conseil en fut sensiblement mortifié. Son président s’était fait, semble-t-il, illusion sur l’admiration qu’on éprouvait jusqu’en Allemagne pour nos Parlemens et « leur façon de rendre la justice. » Un arrêt accusa « les baillis, prévôts, maires et autres officiers de justice », de détourner par des manœuvres perfides les parties plaignantes d’en appeler au Conseil souverain. En fait, dans ce pays défiant et particulariste, où chaque petit État était avant tout jaloux de ses immunités et privilèges, l’échec de cette tentative de centralisation, si avantageuse qu’elle pût être pour la bonne administration de la justice, était à prévoir. Les populations ne comprenaient pas encore les bienfaits possibles du nouvel ordre de choses, et les pouvoirs locaux n’avaient aucun désir de les leur faire comprendre.

Pour franchir le pas décisif, il fallait que le gouvernement fût lui-même plus décidé qu’il n’avait pu l’être jusqu’alors. L’heure était venue où il était enfin libre de ses mouvemens. La paix des Pyrénées délivrait la France de ses dernières préoccupations extérieures, et la mort de Mazarin laissait le pouvoir à un roi jeune, ambitieux, résolu à aller jusqu’au bout de son