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C’était là, comme on le voit, une simple excursion d’essai pour mesurer les forces des voyageurs. Elle se fit, et, après elle, commença aussitôt la randonnée en Bretagne, dont Bary ne fut pas. En ce temps-là, on ne voyageait guère, car les moyens de communication dont on disposait n’engageaient pas à sortir de chez soi, si ce n’est pour des raisons utiles. Il fallait la témérité de la jeunesse et son entrain pour entreprendre et mener à bien une si longue et si fatigante prouesse. Encore, nos apprentis étaient-ils moins rassurés qu’ils voulaient le paraître, et avant de se mettre en chemin, ils avaient demandé des conseils à une personne d’expérience, M. Callot, ancien préparateur de physique à Charlemagne, qui exerça plus de quarante ans en cette qualité à l’Ecole normale. Puis, le sac au des et le cœur en joie, About et Sarcey s’élançaient à travers la Bretagne, avides de plein air et de liberté. Ce que fut cette équipée, About va nous le dire d’une plume familière et abondante. Il aimait à écrire des lettres vives, pittoresques, qu’il faisait volontiers longues et qui, par une singulière malice du sort, se sont presque toutes perdues. Une main prévoyante a gardé cette fois-ci ces souvenirs d’un temps matinal. Le jeune voyageur instruit Arthur Bary, qui n’a pu aller jusqu’au bout et que la préparation de son examen a ramené à Paris avant la fin des vacances. Voici le début de ce récit improvisé. Il est daté de Crozon, le 29 septembre 1849.

« Mon cher Arthur, il y a un mois, à pareille heure, Rinn finissait son examen, et nous commencions à croire que nous irions en vacances. Il y a un mois que nous sommes montés ensemble dans le chemin de fer de Rouen. Alors notre grand voyage devenait chose possible, mais à peine encore vraisemblable, et quelques incrédules doutaient un peu que nous pussions aller jusqu’à Brest. Nous y étions hier, mon bon vieux ; aujourd’hui, nous voici à Crozon ; je t’écris dans la chambre d’Edouard (de Suckau), sur son papier, avec ses plumes ; Francisque, bien entendu, est fidèlement en face de moi ; quand nous écrivons, nous ressemblons toujours à deux chiens de faïence.

« Veux-tu entendre le récit de notre odyssée ? A peine nous sortions des portes de Sanvic, nous étions embarqués comme tu l’as vu, sur un joli bâtiment qui promettait de bien filer. Il tint ses promesses ; la traversée fut belle au possible ; nous