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Nous saurons plus tard, par Taine lui-même, le bienfait de l’exemple d’About. Pour le moment, celui-ci n’était qu’un élève assez fier de ses succès, un peu vain de ses moyens, tout à la camaraderie nouvelle, riant des farces traditionnelles du lieu et les inspirant peut-être. Dans la suite, il se déridait encore au souvenir des mauvais tours joués au Breton Rabaslé et au Lyonnais Vignon, avec une complaisance telle qu’on y pouvait soupçonner quelque amour-propre d’auteur. Mais si ces plaisanteries étaient parfois d’un goût discutable, jamais elles ne furent ni méchantes ni envenimées. Riant trop volontiers aux dépens des autres, About se montrait agressif, non cruel, si ce n’est pour les maîtres qui, sans savoir et sans autorité, prétendaient régenter ces jeunes turbulences. Tandis que Taine, un peu dépaysé d’abord, se contenait en lui-même, observant et méditant, causait surtout avec les plus sérieux de ses camarades, Barnave ou Gambier, qui devaient tous deux entrer dans les ordres, Suckau ou Vignon, About et la joyeuse petite bande qu’il groupait mettaient plus de fantaisie dans un travail qui n’était cependant pas négligé. L’examen de la licence ès lettres clôturait alors la première année de l’Ecole, et il fallait le subir avec succès pour être admis en seconde année. C’est à quoi tous nos jeunes gens s’employèrent d’abord. Ils y réussirent d’ailleurs, sauf Bary, qu’un échec força à affronter une seconde fois l’examen, — avec succès, cette fois, — au mois d’octobre suivant.

C’est dans ces conditions que les vacances arrivèrent, et les normaliens se disposèrent à en profiter de leur mieux. Ils se proposaient de faire une excursion dans l’Ouest de la France, en Normandie et en Bretagne, poussant leur curiosité le plus loin qu’ils le pourraient. Les dames Pankratieff et Mme About villégiaturaient à Fécamp ; la famille Bary s’était fixée à Sanvic, près du Havre. Ce fut la double raison qui amena les voyageurs dans ces parages. About aimait la marche ; déjà, l’année précédente, il avait fait une longue course pédestre à travers les Vosges. Cette fois, About et Sarcey partirent ensemble de Paris, par le chemin de fer de l’Ouest, sac au dos et bâton à la main, pour aller joindre Bary et l’emmener quelque temps avec eux. Les préparatifs de cette odyssée, qui devait se poursuivre à pied pour la plus grande partie, avaient été difficiles : il avait fallu trouver l’argent d’abord, car la tournée, même dans ce