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tans de cet ordre de choses. » (Reuss, L’Alsace au xviie siècle, II, 2.) Mais, d’autre part, il fallait trancher, ou mieux dénouer, les derniers liens qui rattachaient l’Alsace, ou du moins une partie de l’Alsace, au Saint-Empire.


III

Colbert de Croissy s’y appliqua et résolut le problème en ce qui touche la justice. En cette matière, la complication semblait inextricable. La moindre cité, la plus modeste seigneurie avait le droit de haute et basse justice et en usait à son gré, sans qu’il y eût ni concours, ni coordination entre ces multiples juridictions. « Chaque prince est empereur sur son territoire », disait-on fièrement. Il en résultait, en dépit de la roue ou du gibet qui se dressaient à la porte de presque chaque village, que les malfaiteurs avaient toutes les chances d’échapper au châtiment, s’ils n’étaient pris en flagrant délit et jugés sur place. Au civil comme au criminel régnait la coutume locale : si elle ne suffisait pas, on invoquait la coutume générale, et ce n’est qu’en dernier lieu qu’on recourait au droit romain, tout à fait étranger aux prévôts et assesseurs des tribunaux inférieurs, et à peine moins inconnu des bourgeois appelés à siéger dans les tribunaux des villes. Tout cela n’était pas fait pour rendre uniforme l’administration de la justice. Même dans les cités les plus importantes, où il existe un rudiment de parquet, c’est-à-dire un greffier ou un avocat général professionnel chargé de diriger la procédure, la jurisprudence est on ne peut plus capricieuse. Un voleur est pendu, ou mis au pilori, ou simplement expulsé, sans que les dossiers nous permettent de discerner les motifs de ces différences de traitement.

Ce qui aggrave les inconvéniens de cette anarchie judiciaire, c’est l’absence d’une juridiction d’appel commune, capable d’y mettre un peu d’ordre. En théorie, il existait bien un appel possible, au civil, devant les Chambres impériales de Rotweil ou de Spire. En fait, la Cour de Rotweil, créée par Conrad iii, en 1147, ne connaissait guère que des litiges ayant un caractère administratif. Quant à la Chambre de Spire, créée par Maximilien ier, en 1495, elle était moins délaissée, encore que les procès eussent la réputation méritée d’y coûter cher et d’y durer longtemps. D’ailleurs, la plupart des États immédiats