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Lavisse, tous deux élèves de la pension Massin, rue des Minimes, toujours au Marais, qui ont marqué, l’un avec une bonhomie caustique, l’autre avec une ironie plus acérée, les vices de ces procédés. Mais cette manière de voir n’était pas spéciale aux institutions qui rayonnaient autour des lycées de Paris, surtout du lycée Charlemagne. On procédait de même dans les établissemens ecclésiastiques, et l’abbé Dupanloup, alors directeur du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ne faisait pas autre chose quand il appelait le jeune Ernest Renan de sa Bretagne natale pour le transformer en un champion de concours. À cet égard, la mesure n’eut pas grand inconvénient pour le Celte, que ses succès scolaires laissèrent rêveur et modeste. On n’en saurait dire autant d’Edmond About. Le marchandage dont il fit l’objet ne pouvait que l’enorgueillir et accroître cette juste confiance en soi dont il ne semble pas qu’il ait jamais été dépourvu.

L’existence d’About collégien se ressentit donc des conditions particulières qui lui étaient faites. Cet écolier était un personnage : il le savait, et il en usait. Tandis que d’autres bons élèves, dont on escomptait aussi les chances, mais dont l’étoile pâlissait parfois, voyaient du même coup la bienveillance des maîtres se voiler à leur endroit, About, lui, ne connut pas ces éclipses. À peu près assuré du succès, il ne recueillait qu’indulgence et sourire, en prenait à son aise avec la contrainte des devoirs et des classes et se défendait, à l’occasion, d’une saillie ou d’un trait malicieux que plus d’un redoutait. Tandis que ses camarades éprouvaient la gêne du règlement, il l’évitait et passait, d’un air dégagé, à travers toutes les mailles de ce réseau d’obligations quotidiennes. Il ne s’inquiétait pas de ses sorties, certain qu’on ne le retiendrait pas à la pension, et courait volontiers dehors, à la salle d’armes, au manège, chez le tailleur, parce que le chef d’institution offrait tout ce luxe à son élève, qu’il ne voulait pas seulement vainqueur, mais élégant. Ne dit-on même pas qu’on allait jusqu’à feindre d’ignorer ses malices les moins excusables ? Un jour, un mauvais drôle avait convoqué des charrettes de foin et des bains à domicile qui arrivèrent à la même heure dans les diverses pensions du quartier et même dans le vieux lycée. Grande émotion. C’est About qui s’est abandonné à son humeur de plaisanterie, et, pour une fois, fait une farce dont le sel est trop gros. On dépiste le délinquant,