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changemens, quelque chose d’identique. Le vieil esprit national, forgé par des siècles de dure et âpre lutte, s’est trouvé assez solide pour résister à toutes les influences : la philosophie stoïcienne et la morale évangélique ont pu le modifier, non le détruire ; il a pris d’elles ce qui pouvait s’adapter, tant bien que mal, à sa propre essence ; il s’est, à leur contact, épuré, affiné, adouci, mais sans s’amollir. Ainsi s’est formée cette conception dont nous avons constaté la persistance prodigieuse, et d’après laquelle les intérêts du peuple roi et ceux de l’univers sont au fond analogues, si bien qu’il est faux de les distinguer et impie de les opposer. Cette idée se retrouve, en des vers où l’allitération relève l’antithèse, dans un des derniers éloges de Rome qu’ait produits la littérature impériale : « Tu as donné, dit Rutilius Namatianus, à des peuples divers une patrie commune ; tu as fait du monde entier une seule ville, » urbem fecisti quod prius orbis erat. Urbs et orbis, les deux termes ont passé dans la liturgie catholique. Leur rapprochement exprime avec vigueur un fait d’histoire indéniable : peut-être contient-il aussi une leçon pour nous. Ni « la ville » sans « le monde, » ni « le monde » sans « la ville, » mais « la ville » et « le monde » à la fois, c’est ce que les hommes d’Etat latins ont voulu servir, c’est ce que les Pontifes Souverains ont voulu bénir : des mains de Rome impériale et de Rome chrétienne, l’humanité moderne peut accepter cette belle formule.


RENE PICHON.